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j’appellerais volontiers le duo du cimetière un chef-d’œuvre en partie double. L’orchestre à tout moment s’y moque des voix ; elles tremblent, il raille, et, dans l’asile de mort, à travers les tombeaux, sans peur mais non sans malice, il fait rire et chanter la vie.

Mainte page de Don Giovanni commence en véritable symphonie. Avec ses « voix » ou ses « parties » multiples, ses épisodes qui naissent les uns des autres, ses thèmes développés, sinon transformés, le grand finale des Noces non seulement commence, mais se déroule ainsi tout entier. Symphonie encore, le divertissement à triple orchestre exécuté pour les noces de Zerline et de Mazetto. Mais surtout, c’est la Flûte enchantée où le souffle symphonique, le souffle allemand, passe pour la première fois. Sublime et familier, comique et mystérieux, — ou mystique, — tour à tour, le suprême chef-d’œuvre de Mozart porte à sa cime je ne sais quelles étranges lueurs. Un de nos confrères, M. Julien Tiersot, a su discerner autrefois dans la Zauberflöte, non seulement dans la musique, mais jusque dans le « poème, » dans les situations et les caractères, des pressentimens wagnériens. Le pressentiment symphonique n’y est pas le moins sensible. Premièrement, aucune ouverture de Mozart n’est symphonie au même degré que celle de la Flûte. Au cours de l’œuvre, de nombreux passages sont animés du même esprit, écrits dans le même style : entre autres, et plus que tout autre, pendant la scène de l’initiation, le grave et religieux duo des hommes d’armes. L’orchestre ici ne se contente pas d’accompagner : il exécute à lui seul, pour lui seul, à la manière de l’orchestre de Bach, un travail polyphonique et fugué, sur lequel se pose, en forme de choral, le thème austère des deux voix. Et cet orchestre, à la vérité, n’écrase ni même n’offusque le chant ; il a cependant une vie, un sens, un langage propre, il est un des foyers, un des pôles de l’expression. — Mais, dira-t-on peut-être, que parlez-vous de Wagner et de l’avenir, quand c’est Bach et le passé que vous rappeliez à l’instant même ! — Il est permis, s’il vous plaît, de les nommer parfois ensemble. Ces deux extrêmes se l’approchent et se rejoignent par quelque endroit. Wagner est L’héritier de Bach autant que son contradicteur, et c’est en se souvenant de l’un, que Mozart a pu le mieux annoncer l’autre et par avance, vaguement, lui ressembler.

Chez Beethoven, le Beethoven de Fidelio, nous allons