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II

Si nouveau qu’ait paru cet idéal, il retenait encore, pour ainsi dire en suspension dans le courant ou dans le torrent de la symphonie, quelques parcelles de l’idéal, que dis-je ! de plus d’un idéal ancien.

Maîtresse autrefois de certaines formes de l’opéra, il s’en faut que la parole soit toujours, dans l’opéra wagnérien, esclave de l’orchestre. En de nombreux passages, elle se dégage et même elle se passe de lui. C’est elle alors qui rapporte à soi, qui rassemble et concentre en soi la force, la lumière et la vie. Il en est ainsi jusque dans les œuvres les plus « avancées, » les plus purement wagnériennes, de Wagner. Au second acte de Siegfried, certains mots du jeune héros étendu sous le tilleul et rêvant à sa naissance, à son enfance orpheline, ces mots-là n’ont besoin d’aucun accompagnement, de nul commentaire instrumental, pour nous attrister et pour nous attendrir. À l’acte suivant, lorsque Siegfried vainqueur apparaît sur la cime des monts ; la colossale polyphonie qui lui fit escorte à travers la flamme, se réduit, s’amincit jusqu’à n’être plus qu’un fil sonore, et, lui-même, d’une voix presque nue et comme dans le vide, prononce, timidement, son premier salut à la solitude des sommets.

Mais c’est Tristan surtout, dont l’unité, moins rigoureuse qu’on ne pourrait le supposer, admet dans l’ordre verbal d’heureux tempéramens. Sans parler de l’interminable soliloque du roi Marke, que d’épisodes, moins longs, où l’orchestre se relâche, s’entr’ouvre, pour laisser poindre et fleurir les mots ! Comme elle est notée aisément, en notes légères, la causerie du premier acte entre Tristan et Brangaene, entre la fidèle messagère et le timonier hautain ! Comme la parole s’y infléchit sans peine, au gré du souple discours que soutient avec réserve un orchestre respectueux ! C’est ici l’un des endroits où l’on croit retrouver le souvenir de ce style moyen, de cette manière de s’exprimer partagée entre le langage et le chant, que les Allemands d’aujourd’hui nomment « Singsprechen » et que les créateurs de l’opéra de Florence appelaient « un canto che parla » ou bien encore : « favellare in musica. » Il arrive même que des passages non plus familiers, mais tragiques, le soient par l’effet et par la