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Permettras-tu qu’un si grand crime se consomme ?
C’est une enfant ; son cœur est plus pur que le jour.
Son rêve a dépassé les idéals de l’homme :
Seule au monde elle fut la guerrière d’amour.

Toi, Rouen, voudras-tu que cela s’accomplisse ?
Veux-tu garder un sceau d’infamie à ton front ?
Non, non ! pour empêcher ta honte et son supplice,
D’eux-mêmes tes pavés, Rouen, se lèveront !

Le bûcher !… le bûcher !… le feu luit, le feu monte !
Le ciel va donc tonner et la terre s’ouvrir ?…
Hélas ! le sol gaulois n’a pas frémi de honte,
Et l’impassible azur laisse Jeanne mourir !

Mais les bourreaux, en la livrant vive à la flamme
Qui serpente et rugit comme un dragon d’enfer,
N’apprendront ni la mort ni l’horreur à son âme :
L’abandon fut son vrai martyre ; il est souffert.

Elle a tout épuisé des affres d’agonie
Et lorsqu’elle apparaît, sous l’écriteau fatal,
Dans la flamme, splendeur de sa gloire infinie,
Déjà le haut bûcher n’est plus qu’un piédestal.



Les soldats l’insultaient de cris et de bourrades…
En chemise, la mitre infamante à son front,
Elle allait, priant Dieu, tranquille sous l’affront.
Cauchon et Winchester trônaient sur des estrades.

De loin elle aperçut l’effroyable bûcher
Et comme, en un sursaut de révolte suprême,
La vierge s’arrêtait, se pleurant elle-même,
Elle dut, sous les coups, se remettre à marcher.

Elle retient les pleurs, mais un sanglot l’oppresse :
Quoi ! tout ce peuple anglais, qui semblait attendri,
Vient pour la voir mourir, sans protester d’un cri !…
C’est toujours l’abandon qui, seul, fait sa détresse.