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les salariés, forts de leur nombre, vît reparaître les pratiques de la mise en interdit. Le mot « boycottage, » importé d’Irlande, désigne une généralisation, une systématisation, de la pratique de la mise à l’index des usines ou des ateliers qui n’accordent pas à leurs ouvriers les conditions réclamées par eux. Au Congrès de la Confédération générale du travail, tenu à Toulouse en septembre 1897, MM. Pouget et Delesalle ont préconisé, dans un rapport, l’emploi généralisé du boycottage.

Conflits agraires et nationaux en Irlande, conflits sociaux dans les pays industriels, le boycottage avait toujours été, jusqu’à ces dernières années, pratiqué dans des cas nettement délimités et circonscrits, entre individus ou collectivités appartenant à un même pays ; il n’avait pas encore fait son apparition dans les conflits internationaux. Les conditions de la vie des peuples ne s’y prêtaient pas. On n’avait jamais vu la rivalité des nations prendre, avec la même intensité qu’aujourd’hui, la forme d’une concurrence économique ; plusieurs des plus puissantes nations de la terre vivent presque exclusivement de leur industrie et de leur commerce ; une grève de consommateurs, une mise à l’index, sur les principaux marchés, des produits de l’une de ces nations, pourraient entraîner pour elle, en peu de temps, les conséquences les plus graves. Depuis longtemps aussi, du moins en Europe, les métiers n’avaient plus une organisation assez forte, assez disciplinée pour conduire l’opération difficile d’un boycottage étendu à toute une nation. On aurait le droit de dire qu’il était réservé à notre temps de voir le boycottage des marchandises devenir une arme dans les conflits internationaux, si les organisateurs anonymes du boycottage en Chine et en Turquie ne pouvaient se réclamer d’un illustre précurseur. Qu’est-ce, en effet, que le blocus continental, sinon le boycottage des marchandises et des bateaux anglais ? Sur toute l’étendue des mers, l’Angleterre ne reconnaissait d’autre droit que celui de sa force, elle saisissait, comme de bonne prise, les marchandises françaises même sur des navires neutres, elle traitait en prisonniers de guerre les matelots de commerce français, elle déclarait bloqués des ports sans y établir de blocus effectif ; bref, elle interdisait les mers à la France. Napoléon lui répond en boycottant ses marchandises dans tous les ports de la France et de ses alliés. Il est curieux de remarquer que cet essai grandiose de boycottage a déjà le caractère d’une riposte à une