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faisaient encore partie intégrante de l’Empire ottoman, en étaient séparées. Dès le 8, à Galata et à Stamboul, la foule se porte devant les magasins autrichiens, criant qu’il faut les boycotter, empêchant les cliens d’y entrer. Le 10, le Tanine, l’un des organes dévoués au Comité Union et Progrès, publie un article intitulé : « N’achetez pas de marchandises autrichiennes ! » qui, reproduit par tous les journaux de l’Empire, est comme le coup de clairon qui donne partout le signal du boycottage[1]. A partir de ce jour-là, dans les ports et dans les grandes villes, à l’appel des comités jeunes-turcs, les maisons autrichiennes sont mises à l’index, les navires autrichiens ne peuvent plus débarquer leur cargaison ; acheter des articles autrichiens devient un acte de trahison envers la patrie ottomane.

A Constantinople, sous les yeux des « patriotes » et du gouvernement, le mouvement reste particulièrement calme et pacifique ; le docteur Riza Tewfik bey, membre du Comité, en est l’organisateur. Le 13 octobre, dans une conférence au théâtre des Petits-Champs, il engage le peuple à pratiquer sans merci le boycottage des magasins autrichiens, mais aussi à se garder de violences qui déconsidéreraient une juste cause : « Pour ne pas acheter dans un magasin, il suffit simplement de ne pas y aller. Il est absurde et superflu d’aller manifester devant ces magasins et crier que désormais ou n’y achètera rien[2]. » A un grand meeting tenu le 13 octobre dans la cour de la mosquée du Sultan Achmet, des orateurs de toutes les nationalités, un Turc, un Grec, un Israélite, un Arménien et un Arabe, dénoncent là déloyauté de l’Autriche et prônent le boycottage ; un grand cortège

  1. « N’achetez pas les productions avariées de l’Autriche qui, au moment où les Ottomans ont besoin de travailler dans le calme, se jette, avec son ordinaire et immonde avidité, sur la Bosnie-Herzégovine. N’achetez pas les marchandises frelatées de l’Autriche qui, au moment où les Ottomans attendaient de tous les États, de tous les peuples civilisés, de la sympathie, de l’encouragement, porte un coup de si grande détresse à la Nation. N’achetez pas les produits répugnans de l’Autriche qui, au moment où les Ottomans travaillent à établir leur gouvernement et leur administration sur des bases de justice et de droit, cherche à faire revenir le régime d’absolutisme, crée des troubles à l’intérieur et une guerre à l’extérieur, en foulant aux pieds les traités, le droit des gens. Oui, qu’aucun Ottoman ne donne un para pour les étoffes, les vêtemens, les chaussettes, les mouchoirs, les flanelles, etc., venant de l’Autriche. »
  2. Cité par M. Léopold Dor dans sa très intéressante conférence à la Société d’études économiques de Marseille, publiée sous ce titre : Le Boycottage des marchandises et des navires autrichiens en Turquie et son influence sur le commerce français (Marseille, Barlatier). Nous avons fait plus d’un emprunt à cette brochure.