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enthousiaste ; l’Euterpe ne peut pas même recevoir la visite réglementaire de « la Santé. » Sur le port, des orateurs, presque tous chrétiens, haranguent la foule, critiquant violemment l’Autriche et le Lloyd ; l’un d’eux se laisse entraîner à une diatribe contre tous les étrangers « exploiteurs de la Turquie ; » la poste autrichienne est envahie, les employés chassés, le fourgon et la boîte aux lettres jetés à la mer ; le caïmacan et le commandant militaire obtiennent que l’Euterpe pourra débarquer la poste, mais les passagers doivent rester à bord jusqu’à Beyrouth. Dans la nuit du 13 au 14, des Turcs armés de kandjars et de revolvers parcourent les rues, criant : « Vive l’Islam ! A bas les Giaours ! » et tirant des coups de feu en l’air. Le lendemain, le Saghalien, des Messageries maritimes, opère sans difficulté ses opérations ; un officier, descendu à terre avec la poste, est d’abord menacé par la foule qui le prend pour un Autrichien ; reconnu, il est acclamé. Ces manifestations, plus bruyantes que dangereuses, n’eurent pas de suites ; le boycottage fonctionna rigoureusement mais sans violences ; pas une tonne de marchandises autrichiennes ne fut mise à terre jusqu’à la fin de la crise. Les événemens suivent le même cours à Beyrouth : l’arrivée des premiers bateaux est marquée par de petites émeutes, et le boycottage des magasins ne se fait pas sans quelque tumulte, puis les autorités rétablissent l’ordre ; mais, à la fin de décembre, de nouveaux troubles éclatent ; des bandes de bateliers parcourent les rues, détruisant les enseignes qui rappellent des produits boycottés, arrachant les plaques de compagnies d’assurances qui portent des emblèmes autrichiens, et, dans les cafés, se répandent en discours injurieux contre l’Autriche et François-Joseph ; mahonniers et harnais, soupçonnant les gros négocians de la ville de favoriser des fraudes, n’écoutent plus le Comité de boycottage. L’accord austro-turc survient heureusement au moment où le nationalisme démagogique devenait dangereux. De même, à Tripoli de Syrie, dans les premiers jours de janvier, le patriotisme tend à se transformer en xénophobie ; le 9, une bande parcourt les rues, saccage un magasin appartenant au drogman du vice-consulat d’Autriche et jette les marchandises à la mer. Des forcenés pénètrent dans un magasin turc, saisissent des sacs de sucre des raffineries de Saint-Louis, à Marseille, et, malgré la marque française apparente, jettent trente-quatre sacs à la mer ; le mutessarif déclare au gérant du vice-consulat de France qu’il déplore l’erreur et