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de l’abnégation patriotique des premiers jours ! La Chambre de commerce de Budapest insistait pour une prompte entente avec le gouvernement ottoman ou pour des mesures de répression. Les plaintes devenaient d’autant plus vives que le boycottage coïncidait avec une dépression économique générale : les tisseurs de coton d’Autriche et de Bohême, les imprimeurs sur étoffes, décidaient, dans une réunion, de restreindre de 15 pour 100 leur production ; la fabrique de fez de Strakonice (Bohême) perdait toute sa clientèle turque et égyptienne ; les sucreries et les raffineries de pétrole voyaient leur exporta-lion s’arrêter brusquement ; les annulations de commandes déconcertaient la production et faisaient redouter aux industriels de perdre les marchés du Levant[1]. On redoutait une extension du boycottage à l’Egypte, à la Serbie, au Monténégro ; les propriétaires roumains, exaspérés du refus de l’Autriche de leur accorder des concessions pour l’entrée de leur bétail, prônaient l’emploi du boycottage, si les négociations commerciales commencées avec l’Autriche tardaient à aboutir.

Négocians, industriels, armateurs, alarmés se tournaient du côté du gouvernement, réclamant une intervention énergique de la diplomatie ou des représailles économiques telles que l’interdiction de toute importation austro-hongroise en Turquie, au besoin même, une action navale et militaire. À Constantinople, le margrave Pallavicini, d’abord, parla haut, se plaignit vivement au ministre des Affaires étrangères et au grand vizir ; ceux-ci avaient beau jeu pour arguer de leur impuissance en face d’un mouvement spontané et populaire, et pour alléguer l’impossibilité d’obliger les Ottomans à acheter du sucre autrichien ou la corporation des mahonniers à décharger les bateaux du Lloyd.

  1. Voici quelques chiffres significatifs :
    EXPORTATIONS AUSTRO-HONGROISES DANS L’EMPIRE OTTOMAN
    Novembre 1907 Novembre 1908
    Fez 539 273 pièces 216 863 pièces
    Confections pour hommes 796 quintaux 302 quintaux
    Lainages 683 — 263 —
    Sucre 578 837 — 431 115 —
    Dentelles et broderies 207 — 135 —
    Papier à cigarettes 2 908 — 854 —
    Papier à imprimer 10 667 — 9 205 —


    Le Dr Frédéric Karmienski, dans un article de la Neue Freie Presse du 6 janvier, visiblement destiné à rassurer l’opinion, reconnaît que le chiffre de cent millions, dont on a parlé au Parlement, n’est pas exagéré et représente à peu près les pertes du commerce austro-hongrois pour les derniers mois de 1908.