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des paroles sévères que le Pape a prononcées sur lui. C’était, à coup sûr, le droit de Pie X de parler comme il l’a fait. Il n’est plus lié par aucun traité, par aucun concordat ; il peut s’exprimer en toute liberté dans les limites que, seule, la prudence humaine indique et recommande. De même, en France, le clergé catholique n’a plus, envers le gouvernement, d’autres devoirs que ceux des autres citoyens. Le Saint-Père avait beaucoup à dire, et assurément il n’a pas dit tout, mais il n’a pas non plus tout retenu. Naturellement, il n’a nommé personne ; on a pu, toutefois, deviner à qui il pensait lorsqu’il s’est écrié : « Non, il ne peut prétendre à l’amour, cet État, ce gouvernement, quel que soit le nom qu’on lui donne, qui, en faisant la guerre à la vérité, outrage ce qu’il y a dans l’homme de plus sacré. Il pourra se soutenir par la force matérielle, on le craindra sous la menace du glaive, on l’applaudira par hypocrisie, intérêt ou servilisme ; on lui obéira parce que la religion prêche et ennoblit la-soumission aux pouvoirs humains, pourvu qu’ils n’exigent pas ce qui est opposé à la sainte loi de Dieu. Mais si l’accomplissement de ce devoir envers les pouvoirs humains, en ce qui est compatible avec les devoirs envers Dieu, rend l’obéissance plus méritoire, elle n’en sera ni plus tendre, ni plus joyeuse, ni plus spontanée : jamais elle ne méritera le nom de vénération et d’amour. » Ces paroles ont été prononcées en français, et c’est la première fois que Pie X s’exprimait publiquement dans notre langue. Quelque vive qu’ait été l’impression faite par son discours, un simple geste de lui en a bientôt produit une autre encore plus profonde : geste expressif, éloquent, par lequel il a tenu à distinguer la France permanente de son gouvernement passager, et à témoigner à celle-là d’autres sentimens qu’à celui-ci. Au moment où il traversait l’immense enceinte, porté sur la sedia gestatoria qui l’élevait au-dessus de la foule, un drapeau français s’est incliné devant lui : le Pape aussitôt l’a pris dans ses mains, l’a porté à ses lèvres et l’a embrassé longuement. L’effet de cette manifestation imprévue est difficile à décrire ; une clameur formidable est sortie de 50 000 poitrines ; l’enthousiasme a dépassé tout ce qu’on peut imaginer : impression toute naturelle et dont il est difficile, même à longue distance, même à la lecture refroidissante des journaux, de ne pas sentir quelque contre-coup, car il y avait là un hommage rendu à la France par le représentant de la plus haute puissance morale qui, malgré tout, reste encore dans le monde.

Il faut désirer qu’il sorte de tout cela une pensée d’union, mais il serait téméraire de l’espérer. La campagne qui a été entamée chez nous contre le catholicisme l’a été sous prétexte de réunir tous les