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strictement respectée. Nous ne rechercherons pas s’il n’y a pas là une part de vérité. Peut-être les Jeunes-Turcs qui, exilés pendant de longues années, ont séjourné dans les grandes villes de l’Europe et y ont fréquenté des sociétés très libres d’esprit, étaient-ils devenus des Musulmans peu orthodoxes. En tout cas, il était facile de les en accuser. C’est de ce prétexte qu’on a usé pour exciter contre eux le fanatisme des troupes. On ne peut pas demander aux soldats turcs d’être des philosophes ; ils croient qu’Allah est Dieu et que Mahomet est son prophète, et leurs idées ne vont pas plus loin. Il a suffi de leur rendre leurs officiers suspects d’indifférence en matière de religion pour qu’ils en égorgeassent quelques-uns et enfermassent les autres. Au premier moment la sécurité des députés a été gravement menacée. Leur président, Ahmed Riza, a dû chercher son salut dans la fuite, et beaucoup d’autres ont suivi son exemple. Un ministre avait été tué, un autre blessé. La défense était impossible. Il y a des momens où les balles pleuvent et où la mort vagabonde au hasard à travers la ville. Chacun alors songe à soi. A Constantinople, instinctivement, tous ceux qui se sont sentis en péril ont regardé et, aussitôt qu’ils l’ont pu, ont fui du côté de Salonique. N’est-ce pas de là qu’étaient partis le signal et le premier ébranlement de la révolution de juillet ? Salonique est une ville intelligente et libérale. L’atteindre était sans doute le salut. Enfin, si une résistance devait se produire contre l’émeute militaire de Constantinople, c’était à Salonique qu’elle devait se former. Il y avait là un corps d’année, il y en avait un autre à Andrinople dont l’esprit était resté fidèle à la Jeune-Turquie. On se demandait ce qu’allaient faire les champions du régime constitutionnel. L’émeute du 13 avril était évidemment dirigée contre eux ; elle était la contre-partie, un peu caricaturale, de celle qu’ils avaient eux-mêmes fomentée en juillet, et qui avait alors si brillamment réussi. Accepteraient-ils leur défaite ? Se résigneraient-ils à ne laisser dans l’histoire d’autre souvenir que celui d’une apparition fugitive, d’un météore qui, après avoir brillé un instant, s’était perdu dans la nuit ?

À cette question, les Jeunes-Turcs n’ont pas tardé à donner une réponse catégorique : ils n’ont pas consenti à laisser confisquer la révolution qu’ils avaient faite. Convaincus d’ailleurs qu’ils avaient joué leurs têtes dans leur première entreprise, et qu’ils ne pouvaient les sauver qu’à la condition de rester les plus forts, ils ont pris la direction des corps d’armée de Salonique et d’Andrinople, ont fait appel aux volontaires qui voudraient se joindre à eux, en ont reçu effectivement un assez grand nombre, et ont marché sur