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Constantinople. La concentration autour de la ville a été rapide et bien faite. Alors le Sultan, diplomate habile, mais trop confiant dans son habileté, a envoyé aux troupes des parlementaires pour essayer de la conciliation : en tout cela, il n’y avait qu’un malentendu qu’il serait facile de dissiper, car, au fond, les troupes de Salonique et celles de Constantinople voulaient la même chose. Mais les envoyés du Sultan ont été éconduits ; les officiers ont refusé de les entendre et encore plus, on peut le croire, de les laisser s’entretenir avec les soldats. C’est seulement à Constantinople qu’on s’expliquerait : les Jeunes-Turcs ne disaient pas comment. Le savaient-ils bien eux-mêmes ? Leur silence venait-il d’un parti pris déjà formé ou de l’irrésolution où ils étaient encore ? Il était assez difficile de le dire au milieu des manifestations en sens contraires qu’ils laissaient se produire autour d’eux et auxquelles, vraisemblablement, ils donnaient un encouragement égal.

La petite ville de San Stéfano, célèbre par un traité qui n’a pas duré, a pris de nouveau, au milieu des événemens actuels, une importance passagère. Sous la protection des baïonnettes constitutionnelles, les députés qui s’étaient sauvés de Constantinople s’y sont réunis en assez grand nombre pour donner l’impression d’un parlement. Ils y ont tenu des séances pour savoir ce qu’il convenait de faire du Sultan : fallait-il le laisser sur le trône ou l’en arracher ? Il semble que la réponse devait être subordonnée à la question de savoir quel rôle le Sultan avait joué dans l’émeute du 13 avril. Si les présomptions contre Abdul-Hamid abondent., il n’y a aucune preuve certaine. Aussi Chevket pacha, général en chef des troupes jeunes-turques, a-t-il déclaré jusqu’au bout que c’était une calomnie d’attribuer à l’armée la résolution de déposer le souverain. Mais, en même temps, la Chambre des députés émettait un vote en sens contraire : à ses yeux, le Sultan était coupable, et son abdication ou sa chute était nécessaire. Bien hardi qui aurait pu dire dès ce moment de quel côté pencherait finalement la balance ! Il est probable que, dans la pensée de tous, l’événement seul devait en décider : tout dépendrait de l’attitude d’Abdul-Hamid au moment décisif. Les Jeunes-Turcs ont certainement désiré entrer à Constantinople sans coup férir. Une apparence de guerre civile, une collision militaire était à leurs yeux un fait déplorable, qu’il fallait s’efforcer d’éviter, et c’est pour cela sans doute qu’après avoir concentré leurs troupes sous les murs de la capitale, ils se sont arrêtés avant de les franchir, il y a eu tentative d’entente entre les deux généraux en chef, Chevket pacha du côté des Jeunes-Turcs,