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rues et les lieux les plus fréquentés de Berlin, distribuant gratis le supplément qui donnait le télégramme. J’ai sous les yeux en écrivant le placard qui contenait cette fatale nouvelle et qui fut aussitôt collé aux fenêtres des cafés, lu, commenté par des groupes nombreux. Une foule immense circula jusqu’à minuit dans la grande allée des Tilleuls. « La première impression, dit un témoin oculaire, fut une stupéfaction profonde, une surprise douloureuse, et l’attitude consternée de la foule m’a rappelé cette grande douleur muette dont parle le poète de la Pharsale : Exstat sine voce dolor. J’avoue que j’ai trouvé quelque chose de navrant dans le spectacle de ce peuple surpris et atterré par une nouvelle qui présage des luttes sanglantes et d’effroyables catastrophes. »

Un autre témoin fut frappé surtout des impressions martiales de la foule. « L’effet, dit. le correspondant du Times, que ce bout de papier imprimé produisit sur la ville fut terrible. Il fut salué par les vieux et par les jeunes ; il fut le bienvenu pour les pères de famille et pour les adolescens ; il fut lu et relu par les dames et par les jeunes filles, et, dans un élan patriotique, repassé finalement aux servantes. Il n’y eut qu’une opinion sur la conduite virile et digne du Roi ; il n’y eut qu’une détermination de suivre son exemple et de relever le gant jeté au visage de la nation. A dix heures, la place devant le palais royal fut couverte d’une multitude excitée. Des hurrahs pour le Roi et des cris : Au Rhin ! se firent entendre de tous côtés. Des démonstrations semblables eurent lieu dans d’autres quartiers de la ville. Ce fut l’explosion d’une colère longtemps contenue. » — « L’émotion fut colossale, dit Sybel, un cri de joie partit des profondeurs du chœur de milliers de voix qui n’en formaient qu’une ; les hommes s’embrassaient avec des larmes de joie ; les vivats au Roi ébranlaient l’air. » La fanfare qui avait exalté les généraux soulevait Berlin. Les diplomates ne se méprirent pas sur la signification du fait bruyant qui se déroulait devant eux. Bylandt ; ministre des Pays-Bas, a raconté à l’un de mes amis qu’après avoir lu le supplément de la Gazette de l’Allemagne du Nord, il rentra précipitamment chez lui, le traduisit et l’expédia à son gouvernement avec ces simples paroles : « Guerre désormais certaine. »

A onze heures et demie, ce télégramme affiché fut expédié aux ministres prussiens à Dresde, Hambourg, Munich et Stuttgard et, à deux heures et demie du matin, à Pétersbourg, Florence,