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relèverions en hommes d’honneur. Il ne pouvait pas y avoir un doute, et nous décrétâmes le rappel des réserves (4 heures). Le maréchal se leva aussitôt pour aller au ministère exécuter notre décret. Il avait à peine fermé la porte qu’un scrupule le saisit. Il rentre, et dit : « Messieurs, ce que nous venons de décider est très grave ; mais on n’a pas voté. Avant de signer le rappel des réserves, je réclame un vote nominatif. » Il nous interrogea lui-même, l’un après l’autre, en commençant par moi et on finissant par l’Empereur. Notre réponse fut unanime. « Maintenant, dit le maréchal, ce qui va se passer ne m’intéresse plus. » Et il se rendit au ministère où il fit préparer les ordres pour le rappel des réserves (4 h. 40).

Alors j’offris à l’Empereur un moyen suprême de mettre au-dessus de tout soupçon ses intentions pacifiques : « Que Votre Majesté me permette de soutenir au Corps législatif que, malgré tout, l’affaire est terminée et que nous n’attachons pas d’importance à la divulgation prussienne. La cause est mauvaise ; je la défendrai sans conviction et je ne la gagnerai pas ; nous tomberons sous un vote écrasant ; nous aurons du moins complètement couvert Votre Majesté. Obligé par la Chambre de renvoyer un ministère de paix et de prendre un ministère de guerre, vos ennemis ne pourront vous accuser d’avoir cherché la guerre, dans un intérêt personnel. » L’Empereur ne goûta pas ma proposition : « Je ne puis me séparer de vous, dit-il, au moment où vous m’êtes le plus nécessaires. » Et il me pria de ne pas insister. Que d’événemens se seraient déroulés autrement si j’avais entraîné l’Empereur à mon avis !

Nous avions commencé à arrêter les termes de notre Déclaration aux Chambres, lorsqu’on vint annoncer à Gramont l’arrivée d’une dépêche chiffrée de Benedetti. Nous suspendîmes notre délibération. La dépêche déchiffrée n’était que la périphrase des derniers télégrammes. Seulement, le langage qu’elle prêtait au Roi, sans cesser d’être aussi négatif, paraissait moins raide. Il n’y avait pas là de quoi nous faire retourner en arrière. Cependant, comme saisis d’effroi devant notre résolution, nous nous raccrochâmes à cette faible espérance, et là-dessus commença une nouvelle discussion, celle-là pusillanime, et surtout niaise. Un barbare venait de nous souffleter d’une telle force que le monde entier en frémissait et que l’Allemagne la première, avant même l’appel de son Roi, était sur pied, et nous