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général Philis, tous jusque-là partisans de la paix, éclatèrent en exclamations, indignées. Ce ne fut qu’un tolle d’étonnement et de blâme.

Notre appel à l’Europe ne reçut pas à Saint-Cloud meilleur accueil qu’à la Chancellerie. L’Impératrice dit à l’Empereur : « Eh bien ! il paraît que nous avons la guerre ? — Non, nous sommes arrivés à un terme moyen qui permettra peut-être de l’éviter. — Alors pourquoi, fit l’Impératrice, en lui montrant le Peuple français, votre journal dit-il que la guerre est déclarée ? — D’abord, réplique l’Empereur, ce n’est pas mon journal comme vous le dites, et je ne suis pour rien dans cette nouvelle. Voici d’ailleurs ce qui a été rédigé en Conseil. » Et il lui donna à lire la Déclaration. « Je doute, fit-elle, que cela réponde au sentiment des Chambres et du pays. » Seulement, elle ne le dit pas avec placidité, comme on le supposerait par ce récit de l’Empereur à Gramont ; elle donna à son sentiment une forme impétueuse. Le Bœuf, qui, malgré le billet de l’Empereur, avait expédié les ordres de mobilisation à huit heures quarante du soir, vint à Saint-Cloud après le dîner et pria l’Empereur de réunir le Conseil le soir même, afin de savoir si l’on retirerait ou si l’on maintiendrait le rappel des réserves. L’Empereur me télégraphia de convoquer d’urgence les ministres à Saint-Cloud. Il communiqua ensuite au maréchal notre projet de conférence arrêté après son départ du Conseil. « Eh bien ! qu’en pensez-vous ? » demanda l’Impératrice. Le Bœuf répondit que la guerre eût certainement mieux valu, mais, puisqu’on y renonçait, cette Déclaration lui paraissait ce qu’il y avait de mieux. — « Comment, vous aussi vous approuvez cette lâcheté ? s’écria-t-elle. Si vous voulez vous déshonorer, ne déshonorez pas l’Empereur. — Oh ! dit l’Empereur, comment pouvez-vous parler ainsi à un homme qui nous a donné tant de preuves de dévouement ? » Elle comprit son tort, et aussi chaleureuse dans le regret qu’elle l’avait été dans la rudesse, elle embrassa le maréchal en le priant d’oublier sa vivacité. Elle avait voulu surtout atteindre, par-dessus la tête du maréchal, le parti mitoyen auquel nous étions arrivés. Dans cette mesure, son mot n’était pas trop fort. Ce soir-là, elle sentit, pensa et parla juste. Sa colère était légitime, et elle eut raison d’user de son ascendant pour écarter un expédient qui, sans sauver la paix, eût discrédité l’Empereur à jamais.

Lorsque je me rendis à Saint-Cloud, il faisait une de ces