Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Plus peut-être que l’influence des fanatiques, celle des ruines et des souvenirs bibliques conspire à entretenir le Juif oriental dans le culte de son passé et l’horreur du changement. Non seulement les pèlerins Israélites ou les immigrans qui séjournent ou s’établissent en Palestine se rejudaïsent en touchant la terre des ancêtres, mais l’âme dévote de Jérusalem rayonne et se diffuse à travers tous les pays voisins. C’est aussi que nulle contrée n’est plus suggestive que celle-là, plus fortement modelée et marquée par son histoire. Qu’on remonte seulement la vallée du Cédron et les premiers escarpemens du désert de Juda, on aura comme une révélation symbolique du farouche génie d’Israël. On induira du paysage visible au paysage intérieur qui hanta l’imagination du peuple de Dieu et qui le façonna pour toujours. Rien que des roches creuses, toutes blanches, d’une blancheur aveuglante de chaux, des pierres noires, brûlées, déchiquetées, émiettées par le soleil : des pistes semées de petits cailloux féroces, aiguisés comme des aiguilles ou des couteaux. Cette terre aride, anguleuse, tranchante et déchirante, ces couloirs calcaires qui vous emprisonnent et qui se resserrent de toutes parts autour de vous, c’est une lapidation perpétuelle de la vue et des sens. Israël a pris ici, avec l’idée du supplice dont il châtiait ses coupables, son attitude orgueilleuse d’isolement, sa sécheresse de pensée et sa dureté de cœur, — la blessante hostilité de son dédain.

Il est même certains centres où l’atmosphère juive se perpétue aussi opprimante qu’aux siècles messianiques. Sauf le costume moderne, le décor et les habitudes de la vie n’ont pas dû y changer beaucoup. Tibériade est un de ces centres-là. L’extraordinaire vitalité du judaïsme y saisit tout de suite l’attention : non pas que l’exaltation religieuse y soit plus ardente qu’ailleurs, mais parce que la ville est petite, que la population se compose, pour les deux tiers, de Juifs, et qu’enfin, dans cette Galilée qui fut la patrie du Christ, aux bords de ce lac de Génésareth où il prêcha, on est étonné du peu de place que tient son souvenir. Le pullulement hébreu offusque tout, dissipe la hantise des images évangéliques.

Il y a dix synagogues à Tibériade, et les sépultures juives envahissent la campagne environnante, escaladent les roches, dominent tout l’horizon de la mer galiléenne. Israël a ses piscines dans la banlieue, ses bains sulfureux, où, suivant une