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par les communautés juives de l’univers entier. Les Russes et les Polonais se signalent, me dit-on, par leurs libéralités, espérant trouver dans l’intercession de ces pieux mendians un secours contre les rigueurs de la persécution tsariste. Ainsi payée pour débiter des prières, aigrie par le sentiment de son abjection, exaltée par le spectacle assidu des lieux saints, cette tourbe exagère, autant par conviction que par métier, la ferveur du piétisme national. Elle recrée, par sa seule présence, l’état d’esprit fanatique, qui fut celui de ses pères, au premier siècle de l’ère chrétienne.

Évidemment, cet esprit-là est particulier au milieu très spécial de Jérusalem. Mais, grâce aux pèlerinages, la contagion s’en fait sentir dans les régions limitrophes. En général, le Juif asiatique est rebelle à la culture européenne. Il veut bien lui emprunter ce qui est d’une utilité immédiate pour son trafic, — un rudiment d’instruction primaire, — mais il ne va guère au-delà. On conçoit dès lors l’espèce de courage qu’il faut à un Israélite oriental pour s’élever au-dessus des préjugés de ses coreligionnaires et se donner une éducation moderne. En cela, nous ne leur rendons pas assez justice. Quand ils étalent devant nous leur savoir, nous ne voyons dans ce mouvement d’amour-propre que pédantisme et fatuité. Il se peut qu’ils aient trop bonne opinion de leur mérite : en tout cas, ce mérite est réel.

Pour toutes ces raisons, le Jeune-Juif, — au sens intellectuel et laïque du mot, — est plutôt rare en Orient. Il existe cependant. Il se recrute dans les nombreuses écoles dont les moindres villes du Levant sont abondamment pourvues : écoles de l’Alliance israélite, écoles françaises, anglaises, italiennes ou américaines, écoles catholiques des Frères, ou collèges secondaires des Jésuites, des Franciscains et des Lazaristes. Il y apporte, avec son intelligence précoce, sa mémoire infatigable et sa faculté rapide d’assimilation, son robuste instinct pratique et son désir de primer. Apprendre, — apprendre au plus vite et avec le moins de frais possible, tel est, pour lui, le but très nettement précisé dès l’entrée. Un Jésuite me citait un mot ingénu de l’un d’eux, travailleur acharné qui, à force de persévérance et d’application, avait réussi à passer de troisième en rhétorique. Après l’examen de passage, le religieux le complimentait : « Eh bien ! Michel, vous voilà content d’avoir sauté une classe ! Qu’est-ce que vous allez dire à votre père, ce soir, en revenant à la maison ? — Je