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d’Egypte villégiaturent dans les villages de la montagne. Ils s’entassent dans les hôtels de Burmana et d’Aïn-Sofar, des hôtels tout à fait à l’instar de ceux d’Europe et très chers, où l’on paie une livre par jour, où l’on a des salles de jeu, des tables de baccarat et de petits-chevaux, et où l’on dîne en plein air, aux sons d’un orchestre viennois ou napolitain. Les moins riches se bornent à louer une maison de paysan, dans quelque bourgade haut perchée, ventilée par la brise de mer, au milieu des pins du Liban, dont la bonne odeur réjouissait déjà l’Ecclésiaste. L’essentiel est qu’on puisse dire à ses connaissances, en rentrant au Caire, ou à Alexandrie : « J’arrive de la montagne ! » Arriver de la montagne est une élégance.

Telle est la façade que le Syrien vous présente d’abord. Frivolité, amour de la parade et du bluff, grand appétit de jouissance, tous ces instincts sont bien dans sa nature. Mais, de même qu’il ne faudrait pas s’illusionner sur son vernis européen (et, par exemple, être trop curieux de savoir comment les choses se passent dans les intérieurs de ces Orientaux si bien mis), de même aussi il ne faut pas que ces dehors de vanité nous induisent en erreur et nous fassent méconnaître les qualités très réelles qu’ils déguisent. Au fond de tout Syrien, il y a un ambitieux, un assoiffé de fortune et d’honneurs ; et il convient d’ajouter qu’en général, ces hommes possèdent toutes les vertus pratiques capables de servir leur ambition. Ils sont ce qui s’appelle des « gens très forts. »

Si combatifs et si positifs qu’ils se montrent, les Syriens cultivés nous séduisent néanmoins, nous autres Français, par une faculté assez peu commune chez les autres races levantines : le sens littéraire. Sans doute l’éducation française qu’ils ont reçue y est pour beaucoup. Au collège des Jésuites et des Lazaristes, ce sont nos vieilles et excellentes humanités classiques qui ont formé leur goût. Il me semble cependant que, chez eux, ce goût n’est pas seulement un produit de l’école : il est vraiment inné et traditionnel. Aujourd’hui encore, ils se piquent d’être les derniers héritiers de l’antique poésie arabe ; ils revendiquent le légendaire Antar comme une de leurs gloires nationales ; ils ont toujours leurs improvisateurs et leurs chansonniers populaires : et c’est peut-être dans la Syrie chrétienne qu’on rencontrerait les plus fins et les plus érudits connaisseurs en matière de vieille littérature islamique. Mais, désireux de glorifier toutes les