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sur le sujet de la tendresse et qu’elle n’entend seulement pas, l’aveu qu’elle fait à son mari de l’amour qu’elle a pour un autre homme [nous reviendrons sur ce point si important], tout cela rend la comparaison extrêmement juste. » Il suffit, dira-t-on, ajoute Valincour que j’abrège, que Mme de Clèves ait de la beauté et de la faiblesse ; « cependant il me semble qu’on eût pu lui donner un peu plus d’esprit qu’elle n’en a sans craindre de lui en donner trop. » — Mme de La Fayette n’a pas voulu donner d’esprit à Mme de Clèves ; mais elle l’a faite très intelligente. Elle a peu d’esprit pour parler ; mais elle en a infiniment pour comprendre et pour se comprendre. Sa finesse à entendre à demi-mot, et même sans qu’on lui parle, la pensée des autres et son adresse à analyser l’état de son cœur sont choses admirables.

Valincour est cependant très capable de comprendre les délicatesses très intellectuelles et très finement déduites du cœur de Mme de Clèves. Mme de La Fayette écrit : « La manière dont M. de Clèves en usait pour elle [pour Mme de Clèves] lui faisait souhaiter plus fortement que jamais de ne manquer à rien de ce qu’elle lui devait. Elle lui témoignait aussi plus d’amitié et plus de tendresse qu’elle n’avait encore fait ; elle ne voulait point qu’il la quittât et il lui semblait qu’à force de s’attacher à lui, il la défendrait contre M. de Nemours [qui l’aime et qu’elle sent qu’elle va aimer]. » M. de Valincour écrit là-dessus : « Combien y a-t-il d’histoires au monde qui, toutes ensemble, ne valent pas ces quatre mots : « Il lui semblait… »

Dans la lettre de Mme *** à Nemours, outre qu’au sentiment de Valincour, elle est trop longue de moitié, il y a des pointes que le bon goût réprouve : « Je vous trouvai indigne de voir ma douleur et je résolus de ne vous la point faire paraître… Je pensai que je ne vous punirais pas assez en rompant avec vous et que je ne vous donnerais qu’une légère douleur si je cessais de vous aimer alors que vous ne m’aimiez plus. » — Il est un peu sévère, M. de Valincour. Qu’aurait-il dit en lisant Marivaux ? Nous nous acheminons vers lui ; mais nous n’y sommes pas encore.

Au moment de la crise ; au moment où Mme de Clèves s’interroge elle-même, voit clair en elle, mesure le chemin parcouru par son cœur, s’épouvante de ce progrès, Valincour rend les armes et admire presque de tout son cœur : « Il n’y a rien de plus beau que toutes ces réflexions, et il faut avouer que l’auteur