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est admirable lorsqu’il entreprend de faire voir ce qui se passe dans notre cœur. L’on ne peut mieux en connaître tous les divers mouvemens, ou les exprimer avec plus de force et plus de délicatesse. Ces retours de Mme de Clèves sur elle-même, ces agitations, ces pensées différentes qui se détruisent l’une l’autre ; cette différence qui se trouve de ce qu’elle est aujourd’hui et de ce qu’elle était hier, sont des choses qui se passent tous les jours au dedans de nous-mêmes, que tout le monde sent ; mais qu’il y a très peu de personnes qui puissent peindre de la manière dont nous les voyons ici. »

Cependant sur un petit détail, la critique croit pouvoir reprendre ses droits : « Je me suis imaginé que Mme de Clèves ne devait avoir aucun scrupule de n’avoir pas maltraité M. de Nemours devant son mari. Elle eût dû en avoir bien davantage de lavoir favorablement traité en l’absence de son mari. Ce n’est pas aux yeux de son mari qu’une femme doit maltraiter un homme qui est amoureux d’elle et qu’elle craint d’aimer. Cela peut paraître affecté à un amant qui ne cherche qu’à interpréter toutes choses en sa faveur. » — Extrêmement juste ; et ici Valincour se montre digne d’analyser le roman de Mme de La Fayette.

Sur la fameuse scène de l’aveu, qui est le fond même de l’ouvrage et cela même pour quoi il a été fait, Valincour est nettement négatif et même rudement ironique. Nous avons vu qu’il a dit déjà comme d’avance : « l’aveu qu’elle fait à son mari de l’amour qu’elle a pour un homme fait… que la comparaison entre elle et Agnès est extrêmement juste. » Maintenant, il dit encore la même chose avec un rapprochement satirique qui est assez méchant. Il existait au XVIIe siècle un roman intitulé les Désordres de l’amour. Dans ce roman, que je n’ai pu retrouver et que je voudrais bien qu’on retrouvât, car il est tout simplement le prototype du Jacques de George Sand, un certain marquis de Thermes est amoureux de sa femme. Celle-ci se montre mélancolique et taciturne. Elle finit par avouer à son mari qu’elle est follement éprise d’un neveu à lui. Le marquis réfléchit, mesure l’abîme, désespère, fait son testament, institue son neveu son héritier universel et se fait tuer. « Voilà un mari, cela, » dit Valincour après avoir rappelé cette histoire ; puis, reprenant son sérieux : « C’était un grand fou et j’aime mieux M. de Clèves. »

Cependant il le trouve très dur, ce M. de Clèves, — avec raison selon moi ; — mais encore sans s’aviser qu’il est dur parce qu’il