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me paraissent vraies. Or, le vrai dans un roman, c’est le vraisemblable, et le vraisemblable ; c’est l’ordinaire. »

Voilà qui est bien ; mais s’il en est ainsi, l’extraordinaire sera donc banni du roman, et autrement dit le romanesque sera donc banni du roman et, en d’autres termes, il sera donc interdit au roman d’être romanesque ? Voilà une étrange conséquence. Eh bien, si ! le roman, peut être romanesque, mais à la condition que le romanesque qui y sera paraisse être vrai, quoique exceptionnel. L’art du romancier romanesque est de ramener le romanesque au vraisemblable, en arrangeant les choses et surtout les caractères de telle sorte que ce qui est extraordinaire paraisse non seulement avoir pu être, mais avoir dû être. Le dénouement des Idées de Madame Aubray est invraisemblable en soi, tout seul, isolé du reste. Etant donné le caractère de Mme Aubray, il reste exceptionnel, mais il est si naturel qu’il est fatal, que l’on juge qu’il n’a pas pu être autre qu’il n’est. Tout de même, étant donné le caractère de Mme de Clèves, devait-elle à un moment donné faire à son mari l’aveu en question ? Je réponds : oui. Son aveu est donc vraisemblable. C’est du vraisemblable exceptionnel et de l’exceptionnel vraisemblable, ce qui est l’essence même du roman romanesque. Le tort de ces lecteurs du XVIIe siècle, — nous retrouverons cela avec Valincour à propos du dénouement, — me semble être de juger souvent tel épisode indépendamment de ce qui le précède, l’amène et le justifie ; ils n’ont pas le sentiment de l’ensemble. Je n’ai pas besoin de dire que Bussy a ce défaut bien plus encore que Valincour.

Bussy dit dans une autre lettre, avec l’infatuation où il a coutume : « J’attends votre sentiment sur le jugement que j’ai fait de la Princesse de Clèves : si nous nous mêlions, vous et moi, de composer ou de corriger une petite histoire, je suis assuré que nous ferions penser et dire aux principaux personnages des choses plus naturelles que n’en pensent et disent ceux de la Princesse de Clèves. »

Mme de Sévigné qui a dit, en bref, le 18 mars 1678, que la Princesse de Clèves est « une des plus charmantes choses qu’elle ait jamais lues, » dit, aussi brièvement, à peu près le contraire le 27 juillet, en déclarant à Bussy : « Votre critique de la Princesse de Clèves est admirable, mon cousin ; je m’y reconnais et j’y aurais même ajouté deux ou trois petites bagatelles qui vous ont assurément échappé. Je reconnais la justesse de votre esprit, et