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il ne s’est pas relevé. En vérité, s’écrie M. de Valincour, « M. de Clèves ne sait rien de ce qu’a fait de M. Nemours et il meurt ! Il se désespère de pur désespoir. » Il ressemble à don Quichotte. C’est don Quichotte qui dit quelque part : « Se désespérer et devenir fou pour un sujet qui le mérite est une chose qui arrive aux âmes les plus vulgaires et dont on ne nous sait pas de gré. Le beau est que, sans sujet ou pour le plus petit sujet du monde, on se désespère et l’on se tue. » — « Il aurait fallu donner à la mort de M. de Clèves un prétexte plus vraisemblable que n’est celui de n’avoir pas voulu écouter tout ce que son gentilhomme avait à lui dire. » Au fond, c’est une manière de quiproquo. Ainsi dans le Cid, Chimène se trompant sur la nouvelle que don Sanche lui apporte ; ainsi dans l’Iphigénie, Clytemnestre, à la vue d’Ulysse, se persuadant qu’Iphigénie est morte. Cela passe au théâtre, où nécessairement cela dure peu ; « mais, dès que cette préoccupation dure plus d’un quart d’heure et qu’un homme s’obstine à deviner le contraire de ce qu’on veut lui dire, elle ne peut plus s’excuser ; elle sort du vraisemblable. »

Voilà de l’excellente critique. Je ne plaiderai que les circonstances atténuantes. M. de Valincour isole trop cet épisode de tout le reste du roman, de tout le reste de l’histoire de M. de Clèves. Si M. de Clèves n’avait eu comme raison de tomber dans la langueur et de mourir que sa conversation avec son gentilhomme, M. de Valincour aurait complètement raison ; mais il faut se souvenir que M. de Clèves a été frappé au cœur par l’aveu que lui a fait sa femme, puis rongé par les soupçons très naturels qu’il a sur les actes de M. de Nemours ; qu’ainsi, il est une de ces machines usées que le moindre choc achève de rompre.

Le dénouement donne à Valincour, comme probablement à la plupart des lecteurs de la Princesse de Clèves, une déception. Pourquoi, veuve, libre, aimant toujours profondément M. de Nemours, la princesse de Clèves repousse-t-elle M. de Nemours, pour tomber ensuite dans un état languissant et se retirer au couvent et mourir ? « C’est une femme incompréhensible que Mme de Clèves. C’est la prude la plus coquette et la coquette la plus prude qu’on ait jamais vue. Pendant la vie de son mari, elle aime M. de Nemours ; elle ne fait point de difficulté d’avoir son portrait, de passer les nuits à le regarder et lorsque, par la mort de son mari, elle devient maîtresse d’elle-même et peut