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clair-obscur qui les divertissaient beaucoup. La main placée devant la chandelle, qui laisse à peine, entre les doigts, filtrer un liséré de feu, la lanterne posée à terre qui répand un éventail de lumière, ayant pour branches les ombres portées et agrandies des barreaux qui encadrent le verre, les faces vermillonnées qui clignotent à la mèche ardente, le mystère des pénombres qui s’épaississent dans les coins : en un mot, l’illusion de la flamme produite avec quelques ocres mélangées sur un morceau de toile, tels sont les tours d’adresse où se complurent Gérard Honthorst, dit Gherardo della Notte et tous les petits maîtres hollandais surnommés l’Ecole de Van Chandelle. Mais ce sont, là, des effets si peu spéciaux à la nuit qu’on peut en obtenir de semblables avec un rayon de soleil coulé par le goulot étroit d’une lucarne dans un réduit obscur. Il n’y a guère de différence entre l’éclairage d’une vieille femme de Nicolas Maës pelant ses pommes sous sa fenêtre et celui d’une figure lisant à la lueur d’une lampe. Et la confusion entre les effets, pourtant si divers, du soleil et de la lune, était telle chez ces « princes des ténèbres » que, pendant deux siècles, un certain tableau peint par Rembrandt pour Banning Cocq et rempli de portraits de gardes civiques vus pendant le jour fut considéré par tout le monde comme une Ronde de nuit

Il est vrai que, dès le XVIIe siècle, certains peintres, après avoir épuisé toutes les surprises da la nuit d’intérieur, cherchèrent celles des nuits de plein air. Les « Van Chandelle » devinrent les « Chevaliers de la Lune. » Van der Neer eut l’instinct de ce que l’artiste pouvait gagner à s’en aller voir la lune glisser sur les dômes des arbres, le velours des nuages, le miroir des étangs. Les Van Borsum et les Joseph Vernet qui le suivirent s’y appliquèrent aussi. Mais avec quelle sécheresse et quelle fausse minutie ! Regardez la Rue de Village pendant la nuit de Van der Neer, qui est au Louvre, dans un des petits cabinets attenant à la salle de Rubens et comparez-la avec la rue du village de M. Meslé, Chapelle bretonne au clair de lune, qui est avenue d’Antin (salle XIV), ou avec l’Isola Madre de M. Le Sidaner (salle VI) et vous sentirez toute l’étendue des découvertes modernes. Chez les maîtres d’autrefois, on ne trouve jamais la nature étudiée, après le coucher du soleil, dans sa vie secrète et subtile, en dehors de toute préoccupation humaine. Il semble qu’ils aient peint leurs paysages pendant le jour, avec tout le détail que la