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passe la Sœur Rosalie qui fut héroïque durant le choléra de 1832. La foule l’a reconnue, la salue et l’acclame, — foule du temps de Louis-Philippe, surannée pour nous et partant pittoresque, foule populaire aussi : commissionnaires à crochet, vendeuses de légumes accroupies au soleil parmi la gloire des choux et des carottes, brave foule parisienne apte aux attendrissemens subits et aux lynchages prématurés, capable de tout, hors de se tenir tranquille. Et la Sœur avec son cabas, le regard de côté, absent, voudrait bien s’en aller… Plus on pénètre cette œuvre, plus elle vous pénètre. M. de Richemont a ce don du conteur qu’avaient Alexandre Dumas père et Dickens : la « crédibilité. » On dirait qu’il a vu ce qu’il peint et il le peint largement, franchement, sans que la conception très réfléchie de l’ensemble ait, en rien, gêné la verve du « morceau. »

A part ces quelques toiles, que nous apportent les Salons de 1909 ? Rien autre chose que le regret de voir, immobilisées et comme hypnotisées par l’art, des activités qui s’emploieraient sans doute plus utilement en quelque négoce. Ils nous offrent, enfin, le spectacle lamentable de génies vieillissans qui ne savent ni se renouveler, ni finir. Dans les deux Salons on trouve des restes de cette peinture, dont ses admirateurs chuchotent entre eux : « Comme elle était belle sous Grévy ! » Ces maîtres ont peint pour Albert Wolff : ils n’ont pas peint pour nous. En s’obstinant à tirer du même cliché des épreuves de plus en plus affaiblies et décrépites, ils découvrent, de mieux en mieux, ce qui était chez eux procédé pour atteindre, de moins en moins, ce qui était résultat. Et, ainsi, nuisent-ils même à leurs œuvres anciennes. On a vu des hommes politiques quitter volontairement le pouvoir. On a vu des acteurs quitter les planches. On a vu des médecins cesser de pratiquer leur art : jamais des peintres. On ne leur connaît pas de Friedrichsruhe. Ce serait, cependant, pour eux l’occasion déjouer un bon tour à la Critique. Quelques-uns ont des lettres, du monde, de l’esprit. Ayant beaucoup été vus, ils ont peut-être beaucoup retenu. On souhaiterait qu’ils se missent à écrire leurs Mémoires.


ROBERT DE LA SIZERANNE.