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Mémoires d’un fou, cet étrange récit où Flaubert à dix-sept ans analysait et décrivait avec tant de perspicacité l’état de son âme. A dix-sept ans ! Certains détails, mais surtout une incontestable maturité de talent font douter au premier abord que ce soit ici l’œuvre d’un auteur aussi jeune. Il paraît bien toutefois que le manuscrit daté de 1839 ne fut ni repris, ni remanié par Flaubert. Et ce n’est pas le moins surprenant de l’affaire.

Celui qui écrit ici pour nous les Mémoires de sa sensibilité appartient directement à la lignée des grands « malades » qui ont empli de leurs gémissemens la littérature moderne. Le mal dont il souffre est cette lassitude de vivre, ce dégoût précoce, cette désespérance qu’on a appelée le mal du siècle. Comme ses aînés, il se plaint d’être dévoré par il ne sait quels désirs vagues et insatiables. Jeune, il se dit plus vieux que les vieillards, désabusé de la vie, de l’amour, de la gloire, doutant de Dieu et de la vertu même. Le fond de son être est un orgueil qui le fait insociable et qui, dès les bancs du collège, est pour lui la source de mille souffrances. Différent de ses camarades, il est raillé par eux. « Les imbéciles ! eux rire de moi ! eux si faibles, si communs, au cerveau si étroit ; moi dont l’esprit se noyait sur les limites de la création,… moi qui me sentais grand comme le monde ! » La solitude où il se réfugie est peuplée de rêves : visions de pays lointains et de civilisations disparues. Tout à fait inapte à la vie pratique, il ne montre aucun penchant pour aucune profession : il ne saurait se plier aux nécessités d’une vie réglée. Il est amèrement persuadé du grotesque de l’existence. Y a-t-il pourtant parmi toutes ces vanités une vanité pour laquelle on puisse s’enthousiasmer ? Oui, et c’est celle qu’on appelle l’art. Quoi de plus vain que de vouloir peindre l’homme dans un bloc de pierre, ou l’âme dans des mots ? , Mais quelle belle chose que cette vanité ! « S’il y a sur la terre et parmi tous les néans une croyance qu’on adore, s’il est quelque chose de saint, de pur, de sublime, quelque chose qui aille à ce désir immodéré de l’infini et du vague que nous appelons âme, c’est l’art. » On peut rapprocher cette analyse de maints aveux dont est semée la Correspondance de Flaubert à cette époque. La même année 1839, il constate en lui cette disposition malheureuse qui lui gâte la vie : « Je suis de ceux qui sont toujours dégoûtés le jour du lendemain, auxquels l’avenir se présente sans cesse, de ceux qui rêvent ou plutôt rêvassent, hargneux et pestiférés sans savoir ce qu’ils veulent, ennuyés d’eux-mêmes et ennuyans. » Pourtant, à cette époque où il n’a pas encore subi les atteintes du terrible mal physique, il est obligé de convenir qu’il n’a pas