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émotion, une commotion peut-être, dont il aurait été difficile de prévoir tous les contre-coups. Il est heureux que le Sultan se soit laissé prendre dans Yldiz. Que serait-il arrivé s’il l’avait quitté à temps et était passé en Asie ? Mais il aurait fallu pour cela qu’il fut un autre homme, un grand et hardi aventurier au lieu d’être un diplomate calfeutré dans ses appartenions et fâcheusement doublé, d’un policier. Il est tombé sans honneur, et ceux qui l’ont renversé, instruits par l’expérience du danger de ses intrigues, prendront certainement leurs mesures poulie tenir toujours impuissant et désarmé.

Toutefois, s’ils ont respecté la vie d’Abdul-Hamid, ils ont cru devoir exercer des représailles sanglantes contre les soldats qui ont été les agens d’exécution du coup d’État manqué du 13 avril. Ce n’est pas là de la bonne justice distributive ; ces malheureux soldats, ignorans et fanatisés, ont obéi aux ordres qu’ils avaient reçus ; ils sont trop inconsciens pour être responsables ; aucun d’eux n’a un nom auquel on puisse rattacher un souvenir quelconque ; ils ont obscurément fait partie d’un troupeau. On en tire aujourd’hui quelques-uns pour les traduire devant des conseils de guerre : pourquoi ? parce qu’il faut faire des exemples, afin qu’il soit désormais entendu et compris de tous qu’attenter à l’autorité, nous allions dire à la majesté de la Jeune-Turquie est chose périlleuse. En conséquence, des potences se dressent aujourd’hui sur les places de Constantinople, et on y voit se balancer des cadavres au gré du vent, spectacle répugnant, témoignage de mœurs qui, malgré tout, sont restées barbares. Ces exécutions étaient sans doute nécessaires, et c’est là, bien qu’en sens inverse, un résultat de la même politique qui a sauvé Abdul-Hamid. De pauvres diables expient pour le grand coupable contre lequel on n’ose rien attenter. Nous souhaitons cependant, ne fût-ce que par propreté morale, que ces pendaisons deviennent rares et qu’on n’en laisse pas longtemps les honteux vestiges déshonorer la capitale d’un empire qu’on vient de vouer de force à la civilisation et à la liberté.

On dit, il est vrai, que, si l’année macédonienne était entrée vingt-quatre heures plus tard à Constantinople, on en aurait vu bien d’autres, et que la ville aurait été ensanglantée par des massacres. C’est possible ; ce n’est malheureusement pas invraisemblable ; Abdul-Hamid était, en ce genre, capable des pires résolutions ; les massacres qui se sont produits en Asie montrent qu’on pouvait tout craindre. C’est surtout à Adana et dans toute la région voisine que ces massacres, mêlés d’incendies, ont été une fois de plus un outrage à l’humanité. Ils ont éclaté au moment même où avait lieu le coup d’État d’Abdul-Hamid à