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que l’ombre de lui-même. Quand Dréolle vint lui dire qu’il y avait un moyen de s’exonérer, il le saisit sans aucun examen et, tout à coup soulagé, il se mit à répéter : « Vous ne savez pas, la dépêche a été altérée ; la dépêche a été altérée. » Sur un seul point Dréolle ne put l’entamer. L’important pour ce drôle n’était pas d’incriminer Gramont, qui, après tout, appartenait au régime autoritaire. C’était de m’atteindre, moi, demeuré la personnification inébranlable du régime de sa haine. Il affirma, quoiqu’il sût le contraire, ma présence pendant les explications de Gramont. Mais alors le galant homme et l’ami se réveillèrent en Talhouët et, dans sa déposition, il dit au contraire que je m’étais retiré avant l’arrivée de Gramont[1]. A mon retour en France, en 1874, j’allai le trouver, espérant le ramener à une plus juste appréciation des faits. C’eût été aisé s’il avait eu encore la possession de son excellent esprit. Son regard se voila, et je n’en pus tirer que ces mots prononcés d’une langue embarrassée : « Mais, mon cher ami, ce n’est pas contre vous ; vous n’étiez pas présentée l’ai dit dans ma déposition ! »

J’ai tenu entre mes mains le texte communiqué à la Commission avant et après cette communication, et, je l’affirme, ce texte portait en tête sa date et était entièrement conforme au texte officiel donné par Gramont et Benedetti dans leurs ouvrages et conservé aux Affaires étrangères. Gramont l’a dit justement : « On ne sait si l’on doit s’étonner davantage de la perfidie d’une telle calomnie ou de la légèreté inepte avec laquelle elle a été conçue. » L’invention de Dréolle a néanmoins trouvé un rapide succès auprès des ennemis de l’Empire. « Vous avez altéré, a dit Gambetta, le texte de la dépêche sur laquelle vous avez engagé la guerre. » Dans la bouche de Dréolle aussi bien que dans celle des républicains qui s’en firent les propagateurs, cette accusation, Gramont a eu raison de le dire, est aussi inepte qu’infâme. Gramont eût été un idiot et non un fourbe, s’il avait commis devant la Commission une supercherie qu’il avait lui-même d’avance réfutée au Sénat et au Corps législatif, et que le texte de

  1. Déposition de Talhouët : « Nous avons attendu assez longtemps M. de Gramont ; nous avions d’abord interrogé M. le maréchal Le Bœuf, qui était venu avec M. Ollivier. Le maréchal pouvait nous donner des éclaircissemens sur l’armée. Comme M. de Gramont devait être entendu sur les affaires diplomatiques, M. Ollivier nous avait demandé qu’on lui permette d’aller s’occuper de différentes affaires qui étaient urgentes ; il se mettait du reste à la disposition de la Commission Dans ces conditions, nous n’avions pas besoin de le retenir, il s’est retiré. »