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voile d’une affaire privée de la famille Hohenzollern ; Sybel a accepté simplement cette fiction dans son ouvrage et a vivement reproché aux Français de ne pas consentir à l’accepter de même. Je crains qu’avec cette façon de narrer les faits nous ne puissions pas faire figure dans l’histoire du monde et que les Français se moquent de nous tout simplement. » Rathlef juge sans hypocrisie la dépêche d’Ems : « Ceux qui admettent que les affaires de leur pays soient dirigés par un Bismarck doivent aussi accepter, avec les grandes choses que l’Allemagne a reçues de lui, ce qu’ils ne peuvent pas justifier, ce qu’ils blâment peut-être au fond du cœur. Mais il y a dans cette circonstance une injustice faite à l’adversaire plus ou moins grande. Précisément pour la grande cause de l’Allemagne, nous ne pouvons que déplorer sérieusement l’ombre que projette sur elle la dépêche d’Ems ; nous ne pouvons la nier et nous ne le voulons pas, et plus cette heure est considérable dans l’histoire de l’Allemagne, plus les Allemands et les Français y attachent d’importance, plus nous avons de motifs d’atténuer, par un aveu honorable, ce qu’il y a là de notre faute, non seulement parce que nous le devons à nos adversaires, mais parce que nous nous le devons à nous-mêmes. Et chacun de nous, qui ne se dérobe pas à cet aveu, travaille, — d’autant mieux qu’il est plus haut placé, — à contribuer pour sa faible part à retirer de la blessure l’aiguillon d’amertume qui menace la paix de l’Europe. »

Johannes Scherr n’admet pas qu’on attribue aux Français seuls la responsabilité de la guerre. « Des gens que leur patriotisme pétrifie dans l’ignorance, ou que leur étroitesse d’esprit empêche de rien comprendre, peuvent seuls croire que la France seule, ou l’Empereur des Français sont responsables de la guerre. Sans doute, le bonapartisme la désirait pour plusieurs motifs, et la vanité gauloise comme l’illusion chauvine des grandeurs y poussaient aussi ; mais la Prusse, agrandie jusqu’au Mein, n’en avait pas moins besoin et ne la désirait pas moins. Elle devait vouloir la guerre afin de remplir sa mission allemande, c’est-à-dire d’arriver à la prussification de toute l’Allemagne qu’elle voulait réaliser. La guerre était, par suite, dans ses causes originelles, une de ces nécessités historiques qui ont leur fondement dans la nature des hommes et dans l’existence des peuples, et dont toutes les phrases ronflantes des prôneurs de paix éternelle, de solidarité des peuples ne changeront pas un