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insoluble : ni le Roi, ni Bismarck ne voulaient et ne pouvaient les annexer de force et ils étaient sincères quand ils se défendaient de cette pensée. La résistance des populations était telle qu’il était impossible de prévoir quand elle cesserait. Une diversion était inutile à Napoléon III, qui venait de constater à quelles profondeurs les racines de sa dynastie s’enfonçaient dans le sol national, et à ses ministres auxquels suffisait amplement la gloire d’opérer la transformation libérale des institutions de leur pays. Au contraire, elle était indispensable à la Prusse : les populations du Sud surmenées, excédées d’un qui-vive militaire non interrompu, demandaient grâce ; si la guerre n’éclatait pas, un adoucissement du fardeau militaire allait s’imposer ; un conflit entre la couronne, le Parlement et la nation devenait inévitable, et dans des conditions plus difficiles que l’ancien, puisque le suffrage universel était entré en scène. Une victoire sur la France résolvait en un instant la difficulté. Donc, à moins de piétiner indéfiniment sur place et de laisser interrompu le pont commencé sur le Mein, il fallait une guerre. En 1867, lors de la difficulté du Luxembourg, Bismarck eut la velléité de pousser l’affaire à fond et de cogner, comme il dit. Il ne se trouva pas assez prêt : il n’était sûr ni de la coopération des Etats du Sud, ni de la complicité de la Russie. Il différa. En décembre 1869, la bonne volonté du Tsar était assurée, les arrangemens militaires de Moltke terminés ; la guerre fut résolue. Le difficile était de nous donner les apparences de l’agression, afin d’entraîner le Roi. Bismarck avait attendu tant qu’il avait espéré notre attaque ; dès qu’il la jugea absolument écartée par mon arrivée au pouvoir (et dans ce sens j’ai indirectement contribué à l’explosion de la guerre), il organisa sa provocation. Tous les premiers mois de l’année 1870 furent employés à cette conspiration. Il songea d’abord à proclamer le Roi empereur d’Allemagne, ce qu’on supposait ne pouvoir être toléré par la France. Mais les gouvernemens du Sud ne se prêtèrent pas à ce projet. Alors, en mars, il s’arrêta à la candidature prussienne en Espagne, qu’il savait devoir irriter notre nation plus que la prise du titre d’empereur d’Allemagne. Cette guerre a donc été offensive aussi bien stratégiquement que tactiquement.