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Le véritable auteur de la guerre, celui qui l’a voulue, cherchée, préméditée, préparée, rendue inévitable à son heure, c’est Bismarck. On a souvent prêté à l’Impératrice ce mot : « Cette guerre est ma guerre[1]. » Si elle l’avait prononcé, elle se serait vantée, car cette guerre n’a pas été sa guerre, mais celle du chancelier prussien. Il avait réussi, comme en 1866, en obligeant l’adversaire à l’attaquer, à entraîner son roi hésitant, et, suivant son expression, « à faire sauter le fossé par sa rosse. » Il a amené sur le champ de bataille deux souverains pacifiques qui, ni l’un ni l’autre, n’eussent voulu de la guerre. C’est le cas de répéter : Voilà ce que peut une volonté.


XIII

Maintenant que nous avons scruté jusque dans leurs moindres replis tous les faits particuliers, confondu la légende de mensonges qui les a enveloppés ou altérés, il nous reste à nous élever au-dessus des détails, à embrasser d’un coup d’œil à vol d’oiseau l’ensemble de l’événement et à résumer la conduite de notre Cabinet dans cette crise redoutable.

Le guet-apens avait été merveilleusement organisé. Aucun de nos agens ne l’ayant deviné, il nous réveilla en sursaut, en pleine illusion pacifique. Il y eut unanimité dans tous les partis, et aussi dans le parti impérialiste, à ne vouloir à aucun prix, dût la guerre en résulter, d’un Hohenzollern en Espagne. Une seule dissidence dans les désirs : les belliqueux souhaitaient que la candidature persistât pour que la guerre s’ensuivît, les pacifiques faisaient leurs efforts pour écarter la candidature et la guerre. Conformément à la tradition internationale constante, nous ne demandons rien au peuple qui devait élire ; nous nous adressons au chef de la famille à laquelle appartenait le candidat ; nous interpellons sans fracas et verbalement le Cabinet prussien. Bismarck s’étant confiné à Varzin afin d’être inabordable, son substitut Thile nous répond ironiquement : « Le gouvernement prussien ignore cette affaire, adressez-vous à l’Espagne. » Nous devinons le piège : on compte nous amuser jusqu’à ce que l’élection des Cortès, fixée au 20 juillet, nous ait placés en présence d’un fait accompli et mis aux mains avec l’Espagne. Nous

  1. Lesourd, à qui l’on prétend que ce mot aurait été dit, l’a nié formellement.