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impressions font naître chez un peuple orgueilleux, inquiet, irritable comme le nôtre. » Alors se justifia cette prédiction de Tocqueville « qu’une paix sans gloire est une des voies qui conduisent à la révolution. » Toute politique avec l’Angleterre devint difficile (l’aveu est de Guizot), « à cause du souvenir ardent et amer que ces événemens avaient laissé dans le cœur du peuple et de l’armée. » Le moindre incident était envenimé, grossi, dénaturé : une difficulté aussi microscopique que celle de l’indemnité Pritchard, un arrangement aussi irréprochable que celui sur le droit de visite, enfantaient des colères, qui, aujourd’hui, nous étonnent ; le gouvernement n’était pas haï, car la haine est encore un hommage : il était conspué. « Louis-Philippe, disait Chateaubriand, n’a pas besoin d’honneur ; il est un sergent de ville. L’Europe peut lui cracher au visage, il s’essuie, remercie et montre sa patente de roi. » Le succès national des mariages espagnols ne le releva pas. Au dernier moment, il n’osa pas même se défendre, ce qui lui eût été matériellement facile, et il tomba sur un incident qui, considéré en lui-même, ne devait pas dépasser les proportions d’un procès en police correctionnelle. Le socialiste Proudhon l’a constaté : « Une des causes qui ont perdu la dernière monarchie a été d’avoir résisté à l’instinct belliqueux du pays. On n’a pas encore pardonné à Louis-Philippe sa politique de la paix à tout prix ; il n’a pas voulu périr sur un champ de bataille, il a péri dans un égout. » L’ultra pacifique Victor Hugo lui a aussi reproché de n’avoir pas aimé un peu la gloire, d’avoir été trop modeste pour la France : « De là des timidités excessives, importunes au peuple qui a le 14 juillet dans sa tradition civile et Austerlitz dans sa tradition militaire. » — « Les intrus, a dit Louis Veuillot, ne voulaient pas de gloire, parce qu’ils ne voulaient point de difficultés. Ils périrent pour avoir évité toutes les difficultés, c’est-à-dire esquivé tous les devoirs. » Berryer avait considéré l’humiliation imposée à la France en 1840 « comme l’affront le plus grand que l’on pût recevoir. » Qu’aurait-il pensé si notre ambassadeur avait été éconduit pendant les négociations, et si l’on avait annoncé à l’Europe ce joli procédé ? Quelles paroles d’indignation n’aurait-il pas fait entendre s’il y avait eu alors une dépêche d’Ems !

Dans notre cas, il n’y avait plus moyen d’équivoquer, de se réfugier derrière « un manque d’égards qui ne serait pas une offense. » L’offense était directe, palpable, sanglante, voulue.