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l’abattirent[1]. » Un désastre militaire est un accident qui se répare. Quelle nation n’en a subi ? La perte acceptée de l’honneur est une mort dont on ne revient pas. Depuis 1870, je me suis souvent imaginé à la tribune le 15 juillet, conseillant la résignation à l’outrage, et je me suis demandé comment j’aurais pu engager une nation sensible à l’honneur, confiante en l’invincibilité de son armée, à dévorer un procédé sans précédens et si manifestement insultant, comment j’aurais répondu aux huées de l’assemblée et au mépris de tous les hommes de cœur : je n’ai rien trouvé. Il n’était pas humainement possible, dans les circonstances au milieu desquelles nous délibérions, d’agir autrement que nous l’avons fait.

J’ai défendu de mon mieux la cause nationale, je ne m’arrêterai pas à une justification personnelle. J’ai exposé mes actes, donné leurs motifs ; au lecteur de juger. Il me suffira, quant au reste, d’indiquer le genre de justification que je repousse. Un très grand nombre de ceux qui ont conseillé, décrété ou défendu la guerre, ont cru s’absoudre en disant : J’y étais contraire ; j’y ai néanmoins poussé, contribué ou consenti, soit pour ne pas exposer au hasard l’avenir de la cause libérale, soit par attachement à l’Empereur, soit pour céder aux volontés de l’opinion publique, soit pour ne pas rompre la solidarité ministérielle, soit par exagération de patriotisme. Je m’estimerais inexcusable si par ces considérations, ou toutes autres étrangères au conflit soulevé par la Prusse, j’avais consenti à une guerre qui, examinée en elle-même, indépendamment de toute vue accessoire, ne m’eût point paru juste, inévitable, impérieusement commandée par le devoir national. Ni l’intérêt libéral, ni le désir de complaire à l’opinion publique ou à l’Empereur, ni la crainte de paraître un patriote médiocre ou de me séparer de mes collègues n’ont pesé un instant sur mes résolutions. Je tiens ces explications atténuantes, que quelques-uns m’ont accordées, comme plus blessantes que les attaques déchaînées et je les repousse autant que des injures. Non, le 15 juillet, je n’ai pas porté à la tribune une opinion de complaisance, de faiblesse ou de résignation : mes paroles ont été l’expression d’une pensée réfléchie et toute personnelle. Si j’avais été opposé à la guerre, aucune considération ne m’eût décidé à l’approuver et à plus

  1. Chateaubriand, Congrès de Vérone.