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l’ivresse l’esclavage ou la mort, — Donnadieu se voulut offrir les délices d’un dernier balthazar. Pour seule hétaïre, il est vrai, le bonhomme Brière ; mais le repas dut être succulent. On dévora les truffes ; on sabla le Champagne :

Encore un jour à la folie ;
Puis nous serons sages demain !

Demain, c’était le Temple ou peut-être la Force, écoles de sagesse et maisons de sobriété.

Ils arrivèrent enfin aux bureaux de la Police, franchirent la porte ouvrant sur la rue des Saints-Pères, et un peu gris, entrèrent dans la cour. Là, Donnadieu quitta son acolyte : « Ne vous éloignez pas, très cher : je reviens à l’instant. »

Les instans s’écoulèrent ; Donnadieu ne revenait pas, et Brière montait sa faction. Enfin, un des citoyens inspecteurs, monsieur d’exquise urbanité, s’approcha du béjaune :

— Vous êtes l’ami du commandant ?

— Son ami et son secrétaire !

— Eh bien ! courez à son hôtel, et apportez ici son linge, ses habits, ses papiers.

Une heure plus tard, le maître godiche remettait à l’homme de police les nippes et les paperasses demandées. Mais cette fois, l’affable citoyen se montra insolent : « Parfait ! Ne vous éclipsez pas ! Votre ami réclame votre société ; allez donc le rejoindre… »

Hélas ! non moins que les grands de la terre, les humbles, les tout petits subissent les coups imprévus du destin : le secrétaire de Donnadieu venait d’être coffré, lui aussi[1].


II. — AU TEMPLE

Dans la soirée du 14 floréal, à l’heure où l’ombre enveloppante estompe déjà les rues de Paris, un fiacre pénétrait dans la vaste cour donnant accès à la prison du Temple.

Cette cour, en forme de fer à cheval, s’étendait devant un édifice, construction du XVIIe siècle : le « Palais, » comme on

  1. Ce coup d’un policier s’emparant ainsi, sans mandat de perquisition, des papiers appartenant à Donnadieu est raconté par Brière dans une lettre à Desmarest. D’ailleurs, en ce récit, tous les détails de notre mise en œuvre nous sont fournis par des documens d’archives.