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Ce Donjon, — la célèbre Tour, — avait par le monde un renom d’épouvante. L’imagination populaire y voyait une seconde Bastille, mystérieux ergastule et geôle aux inventives tortures. Fouché, disait-on, pratiquait, derrière ces murailles, d’abominables supplices : les poucettes, la chaude, la chemise imprégnée de mercure, la demi-pendaison. Absurdités sans doute, — encore que de pareilles légendes ne fussent pas toutes d’impossibles mensonges ! Certes, des cabanons creusés près d’un égout, d’étroites et fétides cellules charpentées sous la toiture ne faisaient pas du Donjon un palais des Tuileries. Et cependant, comparée à d’autres maisons de justice, la Tour aurait pu passer pour une aimable villa de plaisance. Souvent, au fond d’une basse-fosse, à Bicêtre, ou dans l’immonde pouillerie d’un cachot de La Force, mêlé aux assassins, voleurs, ruffians, gens de la pègre, le détenu politique regrettait le Temple et ses camarades, leurs dolentes causeries, voire l’enjouement de Fauconnier.

Conduit par le concierge, environné de surveillans, Donnadieu sortit du Palais, traversa un jardin potager et pénétra dans le préau.

Au dire de ceux qui en connurent le rugueux cailloutis, la poussière ou la fange, l’humidité et les puanteurs, ce promenoir était un enclos mal tenu. Etroit mais assez long, il enserrait un quinconce où s’étiolaient huit rangées d’arbustes chétifs. Les prisonniers, à certaines heures du jour, y pouvaient prendre l’air, converser avec de plaintifs compagnons d’infortune, se quereller, échanger des bourrades. On se gourmait sous les malingres tilleuls ; la politique y faisait rage : jacobins et royalistes s’y démontraient à coups de poing la vérité des saints principes. La torgniole, toutefois, n’était pas l’unique distraction de ces énervés ; d’aucuns lui préféraient des jeux d’une autre espèce, ceux de l’Amour et du Hasard. Or, Toinon et Toinette, Hermance et Malvina s’offraient, curieuses, à leurs œillades. Le mur garni de poivrières qui servait de clôture longeait la rue de la Corderie, et les maisons de cette venelle le dominaient par leurs mansardes. Parfois, d’ineffables romans, sourires, baisers, billets doux envoyés dans l’espace, s’ébauchaient entre d’aimantes citoyennes, Juliettes penchées à une lucarne, et d’inflammables Roméos qu’exaspérait la continence. Passe-temps hélas ! bien fugitifs. Le gênant Fauconnier avait des yeux