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Ah, quel aveu subtil !… Une âme républicaine ?… Parole révélatrice !… L’interrogatoire prit fin aussitôt : la conscience du juge instructeur était édifiée. Le greffier ânonna son procès-verbal ; on signa, on contresigna ; l’homme à petit manteau regagna son cabriolet, et le prévenu fut ramené au déprimant silence du morne Donjon.

Dès le jour suivant, Fauconnier recevait des ordres très sévères : isolement rigoureux de son prisonnier, et surveillance de tous les momens : « Le ministre de la Police Générale enjoint au concierge du Temple de ne laisser communiquer avec personne le nommé Donnadieu. Il reste responsable de la personne de cet individu, et veillera avec le plus grand soin à ce qu’il ne puisse s’évader. »

Fâcheux symptôme : le « citoyen » n’était plus qu’un « individu, » le « nommé Donnadieu. »


IV. — LE PRÉ AUX MOUTONS

Les divers auteurs de Mémoires qui, sous le Consulat, habitèrent le donjon du Temple et y subirent la mise au secret, conservèrent toujours l’âpre souvenir des souffrances qu’ils eurent à endurer : la privation de toute lecture, de toute correspondance, de toute société ; l’ennui de l’heure présente et la crainte du lendemain ; l’abêtissante solitude en de lentes et lentes journées, sous la douteuse lumière tombant d’une lucarne ; l’horreur des nuits interminables passées dans les ténèbres, l’effroi du moindre bruit, la fièvre sans sommeil, la hantise des lancinantes pensées ; la répugnante nourriture, pain et gamelle, offerte par la Nation ; la contagieuse puanteur des chambres exiguës, aux fenêtres cadenassées ; l’ordure de ces taudions qu’infestaient la punaise, le rat, la chauve-souris ; la rudesse des geôliers, l’incessant espionnage de leurs regards braqués derrière un judas ; la surveillance de la douleur, de l’abattement, du désespoir, bref, un régime propice aux défaillances morales, aux aveux, à la trahison. Mais, bah ! dans les armées de l’Une et Indivisible, parmi les va-nu-pieds ou les porte-sabots en haillons, Donnadieu avait connu de bien autres vermines, mangé plus nauséeux ratas !… Huit jours se succédèrent pour lui en de pareilles délices. Enfin, le 22 floréal, dans l’après-midi, cette mise