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vineux balthazar où l’on avait daubé le « petit bougre de Corse, » — lui causait à présent ennuis et tracas[1]. Davout le convoquait sans relâche pour lui poser d’arrogantes questions, cherchant à le compromettre, et le traitant comme un conscrit que morigène son caporal. Mais, soldat peu commode, altier et violent, supportant mal les agaceries, Oudinot répondait à peine, ou persiflait, impertinent. Sa hautaine contenance ne pouvait néanmoins leurrer la police. Elle savait qu’excellent camarade, il osait loger en secret un de ses vieux amis, menacé d’emprisonnement, le général Delmas, et le Premier Consul connaissait le recel.

Dès le 16 floréal, à son retour de l’Opéra, Bonaparte avait envoyé cet ordre au ministre Berthier : « Si Delmas se trouve à Paris, faites-le arrêter. » Mais l’indomptable Limousin n’était pas de ces martyrs qui tendent avec bonheur les mains jointes aux menottes. Il avait dépisté les mouchards, erré sous de faux noms d’auberge en hôtellerie, puis las de son vagabondage, cherché refuge à Polangis. Oudinot, son compagnon de maintes campagnes, cœur loyal et fermé à la crainte, l’avait caché dans le château. Là, toujours ricaneur, blagueur, distributeur de nasardes, s’ennuyant dans cette solitude, préférant la servante et la limonadière au sylvain comme à la dryade, regrettant ses chères tabagies et leurs propos grivois, — le « Sauvage » attendait avec tranquillité. Son ami partageait sa confiance : jamais, supposait-il, l’argousin de police n’oserait forcer la porte d’un général. Mais l’argousin est d’habitude un monsieur sans délicatesse ; Oudinot se vit contraint d’en convenir.

Un soir de floréal, revenant de Paris, il avait éprouvé une déplaisante surprise. Dans la cour du château, des gendarmes ; sous les massifs du parc, des gendarmes encore, et botté, traînant le sabre, son chapeau sur l’oreille, Savary, leur colonel, parcourant, fouillant, fourgonnant la maison ! Il était dépité : buisson creux ; le gibier avait pris la fuite… « Où cachez-vous Delmas ; mon général ? » Un éclat d’insultante colère lui répondit :

— Honteuse expédition, colonel !… Ainsi, vous avez profité de mon absence pour venir sans péril crocheter mes appartemens ! Ah ! si je me fusse trouvé chez moi, vous auriez, et vivement, sauté le pas. J’ai des fusils, de la poudre et du plomb ;

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1908.