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alors dans une boutique mise au saccage : Némésis vengeresse, la terrible cravache ne cessait pas de voltiger…

A la fin, ennuyés d’avoir à réparer sans cesse meubles et vaisselle, les parens de l’infante se révoltèrent. Basset, « bourgeois de Paris, » rédigea de lamentables requêtes qu’il adressa au ministre de la Guerre. Son désespoir paternel y parlait un sublime langage : ce lettré devait fréquenter l’Ambigu. « Deux êtres également malheureux et sensiblement outragés dans la personne de leur fille, objet de la violence la plus cruelle, réclament votre protection en faveur de cette jeune infortunée… Elle est le soutien de notre vieillesse, l’Antigone de notre débile existence… Mais l’immoral Donnadieu foule aux pieds les droits les plus saints ! Il est atroce : il brise tout ; il met tout en pièces. Vous êtes l’appui de la vertu souffrante ; permettez que je dépose en vos mains le soin de nos destinées… » C’était un vieux, très vieux bonhomme, un « ancien des jours, » aurait dit l’auteur de René ; plus obtus que Jocrisse, mais sonore comme un autre Chactas…

Emu par une telle douleur, Berthier qui pratiquait aussi le galimatias, consentit enfin à « protéger la vertu souffrante. » Donnadieu ayant certain jour abusé de ses caresses, le ministre le fit coffrer à l’Abbaye. Il y resta toute une semaine, ne recommença plus, et Basset père dut consoler sa fille, à nouveau délaissée…

Trouva-t-elle cette consolation ? Esprit inventif, cœur fertile en ressources, Julie découvrit-elle l’époux philosophe qui accepta pour sien l’enfant de Donnadieu ? Transforma-t-elle plutôt le rêve de sa famille en palpable réalité ? Se vit-elle gratifiée du riche entreteneur, ambition de sa mère, et délurée grisette, finit-elle experte cocotte ? Nous ne savons, et qu’importe ! Mais une pareille héroïne méritait, croyons-nous, d’être connue. Elle tint le premier rôle dans une sinistre tragédie de police, et remplit son emploi en artiste consommée : honneur donc à cette autre Duchesnois ! De plus, dévergondée, perfide et rancunière, l’inconsciente Julie Basset fait le pendant de Fortunée Hamelin. Elle aussi est bien la femme de son époque, la fille d’une France sans loi morale parce qu’elle vivait sans Dieu : la description de cette monstruosité psychologique devait entier dans notre sujet. L’amant, d’ailleurs, vaut la maîtresse ; se ressemblant, ils s’assemblèrent. Promesse d’éternel amour, puis lâche abandon,