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disparaissait de l’horizon européen. Notre ministère, après avoir donné au pays la liberté, lui eût assuré le prestige d’une paix glorieuse.

Que ne puis-je m’arrêter ici ! Pourquoi suis-je obligé de continuer ? Au moment même où Bismarck essayait de se reconnaître au milieu de la confusion tumultueuse des projets risqués ou impossibles, d’autres travaillaient en France à le tirer d’embarras, à le relever de sa défaite, à lui rendre la position que nous lui avions fait perdre et à ramener la fortune dans son jeu. C’est l’œuvre que va accomplir notre Droite, conduite, quoique composée de gens irréprochables, par deux malfaiteurs, Jérôme David et Clément Duvernois.

L’Empereur, le 12 au matin, était venu aux Tuileries présider le Conseil des ministres. Nous délibérâmes sur la réponse à faire à la demande d’un délai, qui nous avait été adressée la veille par Benedetti au nom du Roi en termes assez vifs. Nous autorisâmes Gramont à télégraphier à Benedetti que notre dessein n’avait jamais été de provoquer un conflit, mais de défendre l’intérêt légitime de la France. Aussi, tout en contestant la justesse des raisonnemens du Roi et en maintenant nos prétentions, nous ne refusions pas le délai demandé, mais nous espérions qu’il ne s’étendrait pas au-delà d’un jour. Cet incident réglé, nous nous occupions des affaires courantes, lorsqu’un chambellan entre, dit quelques mots à voix basse à l’Empereur, qui aussitôt se lève et sort. Il rentre quelque temps après et s’associe de nouveau à nos conversations d’affaires sans nous rien dire du motif de cette sortie inusitée. Il était allé recevoir Olozaga qui, n’ayant pu lui apporter à Saint-Cloud, pendant la nuit, le télégramme chiffré de Strat, avait instamment demandé à le voir tout de suite, malgré les usages, afin de faire cette information urgente. Le télégramme chiffré annonçait les télégrammes en clair que le prince Antoine avait expédiés le 12 au malin. Olozaga demanda à l’Empereur de tenir sa communication confidentielle jusqu’à l’arrivée de ces télégrammes, qui, seuls, donneraient un caractère irrévocable à la renonciation. Il est regrettable que l’Empereur ait accepté cette obligation d’un secret provisoire, vis-à-vis de ses ministres. S’il nous eût raconté alors la négociation occulte que nous ignorions, s’il nous en avait appris l’heureuse issue, nous n’eussions pas été surpris par la nouvelle, comme nous le fûmes quelques heures plus tard. Nous aurions échangé à loisir nos idées, réfléchi, délibéré, et nous