Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/574

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lamennais se trompait lorsqu’il craignait que son empire sur cette âme ne fût que passager. Mme de Lacan s’abandonna au contraire docilement à lui et trouva, sous cette direction, un repos que, depuis bien des années, elle avait cessé de connaître.


… Mon âme est bien changée aujourd’hui, écrivait-elle à Benoist d’Azy, ou plutôt elle est fixée, car, hors de ce qu’elle éprouve maintenant, tout est changement… Je me sens comme renouvelée ; une lumière vive et consolante me frappe ; les agitations, qui quelquefois me dévoraient, se calment, s’apaisent ; il y a dans mes pensées une tranquillité recueillie qui est pour moi une émotion tout inconnue. Je me suis adressée à M. de Lamennais dans toute la simplicité de mon cœur ; je lui ai dit ce qu’il m’y faisait découvrir, et je l’ai prié de me guider dans la route qu’il venait d’ouvrir devant moi. Je le verrai sûrement encore, la semaine prochaine, je le désire et le redoute, tout à la fois, car il m’inspire une confiance mêlée d’un peu de crainte…


A la crainte que lui inspirait encore Lamennais succéda chez Mme de Lacan un attachement qui devait survivre à tous les dissentimens. De son côté, Lamennais s’abandonna sans scrupule à cette affection qui s’offrait généreusement à lui et qui répondait aux besoins de sa nature. Cet âpre polémiste avait en effet un côté tendre qui n’apparaît guère dans ses œuvres proprement dites, mais que sa correspondance a révélé. Il avait perdu sa mère étant encore enfant ; sa jeunesse avait été sevrée d’affection ; on sait peu de chose de la vie menée par lui avant qu’à trente-quatre ans il entrât dans les ordres, et si certains aveux donnent lieu de croire que cette vie ne fut pas exempte de désordres, il n’apparaît pas cependant qu’aucun sentiment véritable et profond l’ait jamais troublée. Lorsqu’il fut en quelque sorte précipité dans le sacerdoce par l’ascendant de volontés imprudentes, mais plus fortes que la sienne, on peut dire que son cœur était vierge. Il le demeura toujours en ce sens que jamais l’amour humain, l’amour vulgaire ne le fit battre. Mais les trésors de tendresse et d’amour, au sens le plus élevé et le plus noble du mot, qui s’étaient accumulés en lui ne demandaient qu’à se répandre. Durant un court séjour en Angleterre, il s’était pris de tendresse pour un jeune Anglais qu’il avait converti, auquel il s’était attaché avec passion, et qui, déjà gravement malade au moment où Lamennais entra en relations avec Mme de Lacan, devait mourir peu de temps après. Il perdit également à ce moment un de ses amis les plus chers, l’abbé Teyssère. Son cœur avait