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incontestablement défaut dans la façon dont a été traité Lamennais. L’acharnement avec lequel après sa soumission, plus apparente si l’on veut que réelle, on a continué de le dénoncer à Rome, les suspicions dont il n’a cessé d’être l’objet, malgré le silence gardé d’abord par lui, les humiliations successives qu’on s’est plu à lui imposer, n’ont pas été inspirées uniquement par le zèle de la maison du Seigneur, et les rancunes gallicanes ont pris contre lui leur revanche. Peut-être est-il permis d’ajouter que, si le siège de Saint-Pierre avait été dès lors occupé par un pontife animé de l’esprit de celui qui devait plus tard reprendre le nom de Léon XII, Lamennais aurait été mieux compris, et les choses, vis-à-vis de lui, n’eussent pas été poussées aussi loin.

Ces circonstances atténuantes ne sauraient cependant servir d’excuse suffisante pour un aussi éclatant reniement. On est catholique, ou on ne l’est pas. On peut ne pas l’être. Quand on s’est déclaré tel, il faut l’être avec logique et docilité, et pour le demeurer, il ne suffit pas de se soumettre, en ce qui concerne la foi et les mœurs, comme dit la langue théologique ; il faut encore, dans les questions qui ne sont pas de pure politique intérieure, car, dans celles-là le citoyen conserve son indépendance, mais qui concernent, au contraire, la direction et le gouvernement de l’Eglise, savoir reconnaître que le chef de l’Église, voyant de plus haut, doit probablement voir plus loin, et qu’en tout cas, quand il a parlé, il n’y a plus qu’à se taire et à obéir, surtout quand on est prêtre. Lamennais n’eut ni cette logique, ni cette docilité. Il crut qu’il pouvait tout à la fois s’incliner et protester, faire parvenir à Rome une soumission explicite et publier en même temps les Paroles d’un Croyant. Cette erreur d’esprit, qu’il ne voulut jamais reconnaître, conduisit jusqu’aux dernières conséquences sa nature intraitable. Ses derniers biographes se sont efforcés de l’absoudre du péché d’orgueil. Ils n’y ont pas, à mon sens, tout à fait réussi.

Pour en revenir à la correspondance qui nous occupe, à partir de cette date, elle change de caractère. Les lettres de Lamennais, au moins celles des premières années qui suivirent la révolution de 1830, ne sont plus des lettres de prêtre. Ce sont des lettres de polémiste et l’on pourrait presque dire de pamphlétaire. Elles sont courtes, haletantes. On sent que la pensée de celui qui les écrit est ailleurs, et qu’il dérobe, pour les consacrer à la correspondance, quelques instans à une existence