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Lamennais, qui a eu lieu vers le 16 ou 18 juin, j’ignore tout de lui… Une semaine avant cette époque, il vint passer une journée avec moi, et le douloureux souvenir de ce qu’il me dit alors me laisse bien peu d’espoir qu’il ait pu revenir d’une manière soudaine à des sentimens dont il se montrait, hélas ! bien éloigné. Jamais on ne vit démence si ferme et si joyeuse, lime perça le cœur, et quand je songe au déplorable contentement où je le vis, à l’oubli prodigieux qui a effacé de son esprit jusqu’à la mémoire de ce qu’il fut, jusqu’au moindre reflet de son noble passé, il me faut espérer un miracle pour admettre comme possible le bruit qui a circulé. Ce miracle, je l’implore chaque jour du ciel avec la double ferveur de la foi et d’une affection assez pure, assez haute pour se placer à côté de cette foi qu’elle a fait naître. Jamais je ne sentis mieux à quel point m’est cher ce malheureux ami que dans l’instant trop rapide où je le crus sorti de l’abîme et rendu à Dieu et à nous.


Et après avoir demandé à Benoist d’Azy de joindre une dernière fois ses efforts à ceux qu’elle tentait, elle ajoutait :


Jamais mendiant, qui tend la main pour la première fois, n’a eu le cœur plus gonflé que moi en quêtant çà et là le bienfait d’une parole de lumière sur une destinée dont, pendant un si grand nombre d’années, rien ne m’a été étranger.


Elle dut cependant faire une nouvelle tentative, car elle finit par s’attirer de la part de Lamennais cette lettre assez sèche, dont le ton contraste avec le reste de la correspondance :


Je ne crois pas qu’il y ait eu de la sécheresse dans mes paroles, car il n’y en avait pas dans mon cœur ; mais il a pu y percer de la fatigue de vous voir toujours revenir sur un sujet que vous savez bien ne pouvoir m’être agréable, car il ne l’est pas du tout de s’entendre plaindre sans cesse, comme on plaindrait un homme tombé dans les plus déplorables égaremens, lorsque ma conscience me rend le témoignage de n’avoir fait que mon devoir. J’ai mes convictions, vous avez les vôtres ; pourquoi ne serions-nous pas également de bonne foi ? Il y a une pitié qui insulte, et je ne veux pas de celle-là. Je sais que rien au monde n’est plus éloigné de votre intention que de me blesser en quoi que ce soit. Pourquoi donc cette insistance de regrets qui ressemblent si fort à des reproches, et d’exhortations au moins inutiles ? Car vous ne pouvez douter que je n’aie réfléchi trop longtemps et trop sérieusement à tout ce qui vous préoccupe, pour revenir jamais de ce qui vous paraît des erreurs, tant qu’elles seront à mes yeux d’incontestables vérités. Mais en voilà assez là-dessus.


Le sujet défendu devait cependant revenir entre eux une dernière fois, mais trois ans plus tard. A son retour en France, Mme Cottu s’était établie à Versailles avec son mari et ses enfans. Lamennais continua de l’aller voir, mais de plus en plus