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pas quand il souffre, qu’il a le mieux l’instinct des vérités du salut, et qu’une secourable révélation l’éclairé ? — Je n’ai pas su lui dire cela, trop émue, trop honteuse même que j’étais d’avoir osé l’embarrasser. Je suis si façonnée à une attitude de respect devant lui, que je me sentais confuse de me tenir debout en sa présence, bien plus encore de le forcer à baisser la tête. Nous ne connaissons pas bien par nous-mêmes ce que c’est que la confusion ; il faut avoir rougi pour ce qui nous est profondément cher, pour apprécier toute la portée de ce malaise.

J’ai rompu le ton trop direct qu’avait pris notre entretien, et je l’ai ramené à des questions plus générales. Alors sa voix s’est affermie ; il est redevenu éloquent, mais à la manière du génie tombé en démence ; il y avait des instans où il s’enfonçait dans une métaphysique si obscure, si embrouillée qu’il ne s’entendait sûrement pas lui-même ; par-ci, par-là, quelques, rayons de soleil ; puis revenaient les nuages, les aberrations d’un cerveau malade. Je l’écoutais, le cœur palpitant, comme on suit, au chevet d’un ami, les incohérentes pensées qu’il exprime dans le délire. Enfin, épouvantée de ce qu’il m’étalait d’incrédulité au christianisme, je me suis écriée : « Vous n’êtes donc plus que déiste ! Vous offrez donc vous-même un déplorable exemple de ce que vous avez si victorieusement prouvé autrefois, que la négation d’une seule vérité du catholicisme conduit invinciblement à ce terme ! » Il s’est troublé de nouveau, et moi, de nouveau, j’ai brisé le glaive de cette parole et je lui ai demandé si, n’admettant plus comme devoir un culte positif, accompagné de pratiques extérieures, il ne l’admettait pas du moins comme besoin, comme impérieuse nécessité sociale ? S’il ne convenait pas qu’il fallait à nos misères, si nombreuses et si incessantes, des consolations régulières, et incessantes aussi, appliquées par une classe d’hommes voués à panser toutes les plaies morales de leurs semblables ? — « Ne convenez-vous pas, ai-je ajouté, que la voix du prêtre est la seule qui puisse adoucir toutes nos souffrances et calmer toutes nos tempêtes ? » — De cela il est tombé d’accord avec moi ; et là-dessus il m’a déroulé un système de sacerdoce tout à fait identique à une organisation de garde urbaine. — Le prêtre se prendrait indifféremment et momentanément dans toutes les classes de la société : sans passé et sans avenir, sans mission divine et sans caractère sacré, ce prêtre improvisé quitterait son établi, son comptoir, même son échoppe, pour faire sa faction à côté de notre âme, et serait relevé par le camarade à la garde descendante… Voilà les absurdités que ce malheureux déchu accueille aujourd’hui, en haine de certaines vérités contre lesquelles il ne saurait trouver des armes dans la partie rationnelle de son esprit. « Quelle nécessité, me disait-il, avec un accent d’une inexprimable amertume, quelle nécessité à ce qu’il y ait une classe d’hommes attachés sur l’homme comme le ver sur le cadavre ? » — À cette image abjecte et révoltante, je me suis sentie indignée. Je lui ai rappelé cette sublime et si juste peinture qu’il avait faite du prêtre catholique, de cet ange, placé entre le ciel et la terre, et métamorphosé maintenant à ses yeux en importun reptile ! Inspirée alors moi-même par le souvenir du vivant modèle de ce prêtre catholique, renonçant à toutes les jouissances de la jeunesse, à tous les biens de la nature, dévouant sa vie dépouillée à revêtir ses frères d’espérance et de foi, les relevant d’une main, et, de l’autre, leur montrant