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reprit alors entre eux. Mais Lammennais ne lui écrit que de courtes lettres. On sent qu’il est à bout de forces. Il règne dans ces lettres un ton de lassitude et de découragement. Elles sont tristes et désabusées. Pas une pensée pieuse chez ce vieillard, chez cet ancien prêtre qui s’en va. Rien que des récriminations ou des prédictions sombres. « Jamais, écrit-il, l’horizon ne me parut si noir. Messieurs du passé doivent être contens de leurs œuvres et nous ne sommes pas au bout. Tous leurs œufs ne sont pas éclos. » Et dans une autre lettre :


Le peu que j’apprends de l’état des choses, chez nous et ailleurs, ne me remplit pas l’esprit d’idées plus gaies. Heureusement j’ai des livres avec lesquels je me réfugie dans d’autres temps. Valaient-ils mieux que le nôtre ? Non, mais en traversant ces marais, la pensée découvre ça et là quelques fleurs qu’elle cueille en passant. Dans ce qui fut, on choisit ce qui plaît ; dans le présent on ne peut choisir ; il faut l’avaler tout entier tel qu’il est, et bien peu de gens, ce me semble, s’y décident sans faire la grimace.

Panurge, dans je ne sais quelle île, en trouva tous les habitans occupés, qui à ceci, qui à cela. « Aultres, dit-il, faisaient de nécessité vertu et ne semblait l’ouvrage bien beau et bien à propos. » Je suis de l’avis de Panurge.


Dans ses premières lettres, il parlait du Christ et citait l’Evangile. Il finit en parlant de Panurge et en citant Rabelais.


VII

Au commencement de janvier 1854, Lamennais s’alita pour ne plus se relever.

On sait le conflit qui s’éleva autour de son lit de malade, puis de mourant, entre les amis de ses dernières années et ceux des premières : les uns désirant le voir mourir dans les sentimens qu’il professait depuis qu’il était sorti de l’Église, les autres souhaitant et espérant, au contraire, de sa part quelques signes de retour en arrière et de repentir. Ce furent les premiers qui l’emportèrent. Je ne crois pas cependant qu’il soit juste de les accuser, comme on l’a fait, de l’avoir séquestré, et il faut reconnaître qu’en défendant le repos de ses derniers jours contre des sollicitations touchantes, mais indiscrètes, ils étaient les fidèles exécuteurs de sa volonté formellement exprimée. En tout cas, ils n’empêchèrent ni sa nièce, Mme de Kertanguy, qui était une ardente chrétienne, ni Mme Cottu elle-même de parvenir