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jusqu’à lui. On m’a même communiqué un récit de cette entrevue suprême avec Mme Cottu. « C’est vous, lui aurait-elle dit, qui m’avez faite chrétienne et je vous verrais mourir sans les secours de la religion ! » Lamennais aurait beaucoup pleuré, et il fut convenu que Mme Cottu reviendrait avec un prêtre. Mais quand elle se présenta le lendemain, les amis de Lamennais, qui avaient tout entendu de la chambre voisine, ne l’auraient pas laissé pénétrer.

Pour dire mon sentiment, et sans mettre en doute la bonne foi de personne, je ne crois pas à l’exactitude de ce récit. Il a passé de bouche en bouche, ayant été fait, plusieurs années après, par Mme Cottu à un prêtre qui l’aurait transmis, plusieurs années après également, à un autre prêtre. Or il suffit d’être tant soit peu historien pour savoir combien la vérité souffre parfois de ces voyages, et avec quelle facilité les légendes se créent. Je crois plutôt à une autre version d’après laquelle Mme Cottu, introduite auprès de lui, se serait bornée à lui demander s’il voulait bien qu’on priât pour lui, et comme il aurait répondu : oui, elle serait demeurée deux heures en prière auprès de son lit.

J’ai tenu également entre mes mains un récit des funérailles de Lamennais rédigé par un de ses exécuteurs testamentaires. Bien que ce récit, sauf un lugubre détail, ne contienne rien qui soit précisément nouveau, je crois cependant devoir le reproduire, car il a toute la triste réalité d’une chose vue :


M. Blaise, l’un des exécuteurs testamentaires de M. de Lamennais et moi[1], nous marchions les premiers. Au départ, un très petit nombre de personnes suivaient le char funèbre ; outre que l’heure du convoi avait été brusquement avancée, on n’avait envoyé qu’un nombre très limité de billets de faire part pour se conformer aux instructions précises de M. Lamennais… Mais la foule augmentait à mesure que le convoi s’avançait. Nous v traversions, pour atteindre le cimetière du Père-Lachaise, des quartiers populeux et spécialement habités par la classe ouvrière ; les ouvriers quittaient leurs chantiers et se plaçaient silencieusement devant la porte des maisons. Quelques-uns se joignaient à nous et grossissaient le cortège. Il n’y eut un peu de désordre qu’à notre arrivée au cimetière. Le préfet de police, qui était venu en personne, ordonna de ne laisser pénétrer que vingt de ceux qui suivaient le corbillard. Ceux qui furent exclus firent d’énergiques

  1. Ce récit est de M. Benoit Champy, qui depuis fut président du tribunal de la Seine.