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de la vie autour des tombeaux, la croix seule est vivante ! » s’est-il écrié d’un accent énergique.


Aucune croix ne s’élève sur la tombe de Lamennais dont on ignore la place aujourd’hui.

Mme Cottu demeura fidèle au souvenir du prêtre qui l’avait convertie et de l’ami qu’elle n’avait jamais voulu abandonner. Elle avait obtenu de ses exécuteurs testamentaires une photographie qui le représentait sur son lit de mort. Au bas de cette photographie, elle avait écrit de sa propre main : « La miséricorde de Dieu est infinie. Nul ne peut en sonder les mystères. » En écrivant ces mots, elle se souvenait sans doute de ce que Lamennais lui avait dit au moment de la mort de M. de Lacan, sur ces mouvemens imperceptibles aux hommes dont Dieu se contente. Et s’il est vrai qu’une larme ait été essuyée sur la joue glacée de Lamennais, si elle la su, elle a pu espérer que cette larme aura suffi à contenter Dieu.

Mme Cottu survécut quinze ans à Lamennais. Elle mourut au commencement de l’année 1869. Le 2 février de cette année (février était le mois de la mort de Lamennais), en pleine possession de ses facultés et de sa rare intelligence, elle prit la plume et résuma en ces termes son jugement sur lui :


Il y a tout à l’heure quinze années (27 février 1854), une puissante intelligence s’est éteinte. Engloutie, selon les uns, dans l’abîme creusé par l’orgueil, destinée, selon les autres, à renaître glorieusement prophétique, elle est encore livrée aux appréciations les plus extrêmes.

Nul ne conteste la supériorité du génie de M. de Lamennais, mais presque personne ne lui rend une impartiale justice, parmi ses détracteurs surtout, faute d’admettre comme possibles les disparates d’une nature pleine d’étranges contrastes. On y cherche une logique qui manque à de certaines organisations pour lesquelles le principe des analogies régulières est tout à fait erroné.

Si tous s’accordent à reconnaître chez M. de Lamennais l’immense talent de l’écrivain, combien son caractère a-t-il été méconnu, calomnié ! On a fait de l’homme le plus simple, le plus sincère, un ambitieux, un agitateur à froid, feignant tour à tour au profit de sa renommée des convictions contraires, et les soutenant avec une égale et impétueuse ardeur.

Hélas ! il est vrai, M. de Lamennais se donna à lui-même de prodigieux, de déplorables démentis ! Né devant l’imposant spectacle, et pour ainsi dire au contact de l’Océan, il en avait la fougue et les flots changeans ; il en avait les vastes horizons, la profonde mélancolie, les soudains et terribles caprices ! La contemplation de cet infini dont toute sa jeunesse fut imprégnée eut une grande influence sur la pente de son esprit, sur la véhémence de