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qu’ils éprouvent vis-à-yis de l’Italie. Le rêve à peu près général pour ne pas dire universel, mais cependant platonique, serait de relever d’un autre pays, d’une nation quelconque, pourvu qu’elle ne soit pas la nation italienne.

J’ai souvent cherché la cause de cette inimitié latente, et il me semble qu’il n’est guère possible de l’expliquer que par l’attachement inné du Sarde à sa terre natale, par une longue suite de froissemens personnels et le manque de connaissance qu’ils ont les uns les autres.

Les jeunes soldats de l’île, versés par petits groupes dans les régimens continentaux, arrivent avec leurs costumes, leurs habitudes, parlant un italien très médiocre, quand ils le parlent. Ils y sont dépaysés, incompris, considérés comme des rustres, et quand ils rentrent chez eux, c’est avec de l’amertume au cœur.

Inversement, l’administration des deux provinces est placée entre les mains d’Italiens dépaysés dans un autre sens. Ils considèrent la Sardaigne comme un lieu de passage, leurs fonctions comme transitoires ; eux aussi n’ont qu’un espoir : celui de repasser la mer le plus tôt possible. Sont-ils préfets, sous-préfets, font-ils partie de la gendarmerie, ils cherchent à déraciner de vieux usages, le brigandage par exemple ; sont-ils percepteurs, receveurs, agens du fisc à un titre quelconque, ils font rentrer rigoureusement des impôts très lourds. Fonctionnaires ou employés symbolisent donc, aux yeux de populations simples et pauvres, l’Italie. L’homme voit souvent les charges sans en reconnaître les avantages. De là, je crois, ces mouvemens de mauvaise humeur, de méfiance, de bouderie réciproque qui sont une caractéristique des plus frappantes de l’opinion publique en Sardaigne. Cet état de choses ne cessera que le jour où les intérêts pécuniaires des deux côtés de la mer seront tellement unis qu’ils ne feront plus qu’un.

Sur une toute petite échelle, un semblable rapprochement commence à s’opérer dans les environs de Sassari. Depuis quatre ans environ, des négocians, romains pour la plupart, sont venus fabriquer sur place du fromage dit « romain, » qui est exporté principalement au Brésil et à la République Argentine. On en embarque en moyenne de 1 500 à 2 000 tonnes annuellement à Porto Torres. En principe, il ne devrait entrer que du lait de brebis dans sa composition, mais dans la réalité, il est fortement mélangé de lait de vache. Quoi qu’il en soit, le lait qui autrefois