Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombreuses années, en marge de la société. La chose est simple : à la suite d’un crime quelconque, d’un vol de bestiaux peut-être, pour échapper à la justice, le délinquant gagne la montagne, les centres habités sont extrêmement distans les uns des autres ; il est donc aussitôt dans une complète solitude ; là il trouve un asile sûr, à la condition cependant de changer fréquemment de gîte et de zone. Sa famille, ses amis sont naturellement de cœur avec lui ; les bergers, les gens du pays, par crainte, sont dans ses intérêts. On lui apporte des vêtemens, des provisions, des munitions. Environné de satellites toujours en éveil, exactement renseigné sur ce qui arrive, si la police devient plus pressante, il le sait aussitôt. Il peut donc passer de longues années dans un calme relatif, mais en menant cependant une existence très dure, à cause de la rigueur du climat pendant l’hiver, et des alertes inhérentes à sa situation en toutes saisons.

Les cas de dénonciation sont rares, car la vengeance est tellement certaine que bien peu de personnes se hasardent à parler.

En 1901, le lendemain de mon arrivée, chassant dans le voisinage de notre cabane, nous rencontrâmes, mon guide et moi, un vieux charbonnier paraissant très agité. Il parlait en sarde avec volubilité ; je ne comprends pas cette langue. J’attendis donc qu’il eût fini, pour demander la traduction de cette conversation si intéressante. Et voici ce qui était arrivé : le matin même, à 7 ou 800 mètres de l’endroit où nous étions, un négociant de Fonni, passant à cheval, son capuchon sur la tête, car il pleuvait, avait reçu deux coups de fusil. La première balle lui avait éraflé le bras, la seconde avait traversé la poitrine. Par un hasard providentiel, il s’est remis, mais il ne put ou ne voulut rien dire, sauf qu’entre le premier et le second coup de feu, ayant retourné la tête, il avait vu deux canons de fusil sortant d’un buisson. Un mauvais chenapan d’un village voisin avait été rencontré rôdant dans les environs aussitôt après le crime commis, mais personne ne le dénonça par crainte de représailles, et l’instruction fut close sans résultat.

Il y a trois ou quatre ans, dans cette même partie des montagnes de Sardaigne, les gendarmes tendirent une embuscade à un bandit réputé ; ne le connaissant pas de vue, un paysan s’offrit secrètement pour le leur désigner. Le malheur voulut qu’un berger vînt à passer par le même sentier ; l’espion se trompa ; le berger fut tué net. Huit jours après, on trouva