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résultat appréciable que de lui apprendre l’existence d’un second mariage clandestin : celui de son autre frère le duc de Gloucester. Il y avait six ans déjà que ce jeune étourdi avait épousé la fille naturelle d’une modiste et de sir Edouard Walpole, la belle veuve du comte de Waldegrave, dont vous voyez ici deux portraits ; l’une, mélancolique et inspirée, le regard au ciel, par Reynolds (n° 41), l’autre, coquette et rieuse, le regard baissé, par Hoppner (n° 16) et dont vous pouvez voir un troisième à Chantilly, légué jadis au duc d’Aumale, sous ce titre : Les deux Waldegrave. Insensible à tout ce qui nous touche uniquement aujourd’hui, en cette belle personne, le Roi se mit dans une seconde colère que le marié clandestin supporta sans faiblir : « Je me suis marié comme un enfant, je défendrai mon mariage comme un homme, » répondit le duc de Gloucester, donnant ainsi, sans le vouloir, une définition de beaucoup de mariages anglais. En fait, il défendit victorieusement sa femme contre le Roi, contre le Parlement et l’univers entier, mais il ne la défendit pas contre lui-même : il l’abandonna plus tard pour une liaison avec une des dames de la chambre de la duchesse, lady Alméria Carpenter, une des plus belles femmes de ce temps, dit Walpole, et d’ailleurs stupide.

La finesse, au contraire, le spirituel enjouement, rayonnent des portraits de la comtesse de Waldegrave, au moins de celui peint par Hoppner, coiffé d’un Woffington, tourné de profil. Celui, de profil également, peint par Reynolds, a revêtu ce masque de l’extase qui recouvre toutes les fortes tensions de l’âme anglaise, depuis la duchesse de Gloucester jusqu’à la Beata Beatrix, sans qu’on sache, jamais, si la vision qui passe dans ce regard infini est celle d’un royal mariage, du salut éternel ou d’un nouveau chapeau. Enfin, c’est une troisième expression qu’elle revêt à Chantilly, lorsqu’elle découvre, d’un geste de Madone, la petite fille née de son premier mariage, Elisabeth Laura, blottie contre elle, comme effrayée par l’apparition subite de la vie. Dans le premier portrait, c’est le masque de l’extase ; dans le second, c’est le masque de la coquetterie ; dans le troisième, celui de l’amour maternel. Et sous tout cela, quel est le visage ? Cette femme qui sut cacher, six années durant, son mariage royal à ses contemporains, saura, malgré tous les portraits que Reynolds, enthousiaste, a faits d’elle, se garder inconnaissable aux passans que nous sommes. Ses lèvres minces et pincées, son regard dur