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font frissonner d’épouvante. Elle a vécu soixante-dix ans, mais les Anglais ont une puissance de dissimulation qui peut durer plus longtemps encore. Si leurs excentriques ont atteint leur réputation mondiale, ils le doivent bien moins à l’invention de leur domino qu’à sa continuité. Beaucoup même, au dernier moment, négligent de dénouer les cordons de la double figure. Ils meurent, tenant encore leur masque appliqué sur leurs traits véritables, ayant fini par perdre, peut-être, le souvenir de ce qu’ils avaient été.

Le silence de la duchesse de Cumberland fut moins long, mais, en une occasion, héroïque. Elle était fort amoureuse de son premier mari, Mr Horton, qu’elle perdit, avec leur petite fille, dans l’espace d’une quinzaine. Accablée par la mort de l’enfant, elle sut, pendant quinze jours, cacher à son mari ce qu’il est le plus difficile au monde de dissimuler : une douleur maternelle. Et il mourut sans savoir qu’il avait perdu sa fille. A part ce trait, il ne semble pas que la tendresse fût la véritable caractéristique de cette âme. « Elle avait, dit un contemporain, l’air d’une femme de plaisir plus que d’une dame de qualité ; avec cela, bien faite, gracieuse et irréprochable dans sa conduite et sa tenue. Mais il y avait, dans ses yeux languissans, quelque chose qu’elle pouvait animer jusqu’à le rendre enchanteur, si elle voulait, et sa coquetterie était si active et si variée, et cependant si continuelle, qu’il était difficile de ne pas la pénétrer, sans qu’il fût plus facile d’y résister. Elle dansait divinement et avait beaucoup d’esprit, mais de l’espèce satirique, et comme elle avait de la hauteur avant son élévation, rien d’étonnant qu’elle tînt à tous les honneurs dus à son rang quand elle fut devenue duchesse de Cumberland. »

Elle le fit sentir, un jour, à Reynolds auquel, comme à Gainsborough, quoique moins souvent, elle demanda son portrait. Elle vint à son atelier, mais en entrant, elle crut se devoir de donner une raison de cette condescendance. « J’ai pensé, dit-elle au peintre, que vous seriez mieux à votre aise pour travailler, là où vous avez tous vos outils. » Elle attendait quelque réponse… La réponse eût pu être mortifiante et caustique. En effet, il n’y avait d’autre moyen pour elle d’avoir son portrait ; bien des membres de la famille royale avaient fait ce même voyagea l’atelier de Reynolds et, avant eux, le roi Charles II à celui de Lely ou de Kneller. Reynolds eût pu répondre cela, et bien d’autres choses encore. Mais le silence est le grand masque