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de face, jouent à un jeu dans lequel il arrive un moment où la mère crie à propos d’oiseaux : « Et ils seront tous envolés ! » Elle lève la main droite et l’enfant, levant, aussi ses deux petits bras, chante avec bonheur. Telle est la dernière vision donnée au peintre, au déclin de sa vie, par la jeune femme qui portait, partout où elle allait, la lumière et la gaîté avec elle, et s’attachait le cœur de tout le monde.

« Tout le monde » ne veut pas dire : « son mari. » Tandis que la belle Devon traînait des peuples à sa suite, le duc s’écartait sans bruit de ce cortège triomphal pour aller contempler à loisir ce masque futé de Lady Betty Foster, que vous voyez près de la reine, peint par Reynolds (n° 39) dans sa coiffure poudrée à blond, tout ébouriffée, à boucles détachées, discrète et délicieuse. Betty Foster, fille du quatrième comte de Bristol et femme de John Foster, était l’amie de la belle Giorgiana, et le parallélisme de leurs destinées fut, s’il faut en croire les chroniques du temps, l’occasion d’un double et doublement étrange compromis. Il arriva que les deux amies : la femme du duc de Devonshire et sa maîtresse, eurent en même temps un bébé : lady Foster un fils et la duchesse une fille. Mais comme il fallait de toute nécessité que le titre de Devonshire eût un héritier, les deux mères, également pénétrées de l’intérêt dynastique d’une aussi grande maison, trouvèrent expédient d’échanger leurs bébés, et il fut annoncé que la duchesse avait accouché d’un fils. C’est lui qui fut plus tard le sixième duc de Devonshire. La Providence, devant cette obstination britannique à modifier ses plans, ne s’entêta point davantage. Par ses soins, Giorgiana mourut encore jeune et Betty Foster épousa son amant, devenant ainsi la belle-mère de son propre fils… Le fait bien connu du principal intéressé, le frère du duc de Devonshire, aurait pourtant été tenu secret et approuvé, sous la seule condition que Je faux petit duc ne se marierait point et qu’ainsi, à sa mort, le titre et les biens rentreraient dans la ligne légitime, — ce qui eut lieu en 1859.

Ces choses sont controversées, comme toute belle histoire peut l’être. C’est un peu moins que de l’histoire, mais c’est un peu plus que de la légende. Le double silence que l’anecdote suppose pendant si longtemps n’est pas impossible chez les Anglais, dont les romans ne sont souvent que l’histoire d’un long silence. C’est l’histoire aussi de beaucoup de leurs ententes et de leurs mésententes avec les nations. C’est l’histoire, enfin,