Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le seul de son île que les masques réunis, ici, empêchèrent de voir les véritables traits des visages, et d’ailleurs, dit le poète :


O ! were there an island,
Though ever so wild,
Whose women might smile, and
No man be beguiled !


II. — DANS LA SALLE FRANÇAISE

En passant de la salle anglaise dans la salle française, il semble qu’on change de saison. On était en automne, on est au printemps. Le regard fouillait les couleurs sombres et riches de la forêt en octobre ; il se repose maintenant sur les bleuâtres lointains de mai. On ne change pas seulement de saison, mais de lieu. On était dans un parc, on entre au salon. Les belles dames qu’on a visitées, d’abord, étaient isolées, dispersées ; chacune dans une attitude nonchalante et pensive comme une figure rencontrée au détour d’une allée, sur un banc de jardin, accoudée à un balustre. Elles vivaient pour elles et ne s’occupaient nullement de vous, passant dans la toile ou le regard, au loin, perdu. Les figures qu’on voit maintenant font des frais. Pour qu’on les voie mieux, elles gesticulent volontiers, et les gestes qui étaient tous en flexion, là-bas, se produisent souvent, ici, en extension. Les femmes d’à côté pouvaient se définir : des rayons, des ombres et des yeux ; celles d’ici : du bleu, du fard et de la gymnastique. Celles qui ne gesticulent pas ont des gestes qui écoutent : le clavecin touché, l’aiguille en l’air, le livre déclos, le masque ôté sort aux doigts une contenance, et non une besogne. Aucune ne pense, ni n’agit. Rien ne distrait ces dames de la grande affaire du XVIIIe siècle français qui est la conversation : l’échange de quelques parties d’âme, qui n’enrichit guère, appauvrit peu, mais nivelle, aère et adoucit. Nous sommes passés du royaume de l’isolement splendide dans celui de la sociabilité.

Cette impression ne nous trompe pas. Ce n’est pas à dire que les Anglais n’aient toujours eu la prétention d’être sociables. « N’est-ce pas que ces réunions sont amusantes ? » disait, un soir, à Mme Vigée Lebrun, un Anglais rencontré dans un rout de Londres. « Vous vous amusez comme nous nous ennuierions, » lui répondit-elle. Pour soutenir que nos voisins aiment le contact du monde, on en donne parfois, comme une preuve, leur