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sommes loin de l’idéal britannique. Reynolds n’avait pas assez de railleries pour « le feu » et « l’esprit » de ces peintres français et « leur manie d’imprimer à toutes leurs figures l’air d’un chevalier errant prêt à entrer dans la lice, ou d’un petit-maître qui serait flanqué de son maître de danse. » « Laissez-vous suggérer les poses par votre modèle, disait-il à ses élèves : cela vaut mieux que de le poser vous-même : par là, il arrive souvent que le modèle se place lui-même dans une action supérieure à votre imagination. C’est un grand point que de se tenir sur le passage de l’accident et d’être attentif et prêt à en profiter : d’ailleurs, quand vous fixez vous-même la pose d’un modèle, vous risquez de le placer dans une attitude que personne ne prendrait de soi-même. » En effet, seul un hasard heureux a pu dicter à Romney le geste de sa Miss Benedetta Ramus (no 48), ou à Reynolds celle de la duchesse de Devonshire jouant avec sa fille Giorgiana, ou à Lawrence celle des deux enfans de Nature, ou des trois jeunes filles assises par terre, l’une tenant son pied dans sa main. Rien de semblable chez les Français du XVIIIe siècle. Quand leurs attitudes sont aisées, comme chez la délicieuse dame de Sorquainville, de Perronneau, elles ne sont point nouvelles. Seuls, les Anglais font dire à la fois de la même pose : « comme c’est imprévu ! » et : « comme c’est naturel ! »

Comment nos maîtres du XVIIIe siècle sont-ils descendus à cette affectation et ce maniérisme qui justifient la venue de David ? C’est encore Reynolds qui va nous le dire ; « Nos voisins, les Français, pratiquent beaucoup cette invention ex tempore, dit-il, en 1784, et leur dextérité va jusqu’à exciter l’admiration, sinon l’envie. Mais combien il est rare que cet éloge puisse se décerner à leurs peintures achevées ! Feu le directeur de leur Académie, Boucher, était éminent dans ce sens. Lorsque je fus le voir il y a quelques années, en France, je le trouvai au travail devant un très grand tableau, sans aucune esquisse, ni modèle d’aucune sorte. Comme je lui en faisais la remarque, il me dit que, lorsqu’il était jeune et qu’il étudiait son art, il trouvait nécessaire d’employer des modèles, mais qu’il les avait laissés depuis longtemps. Des peintures telles qu’était celle-là et telles que seront toujours, je le crains, des choses faites de pratique et de mémoire sont une preuve convaincante de la nécessité de l’observation. Pourtant, je ne dois pas quitter ce peintre sans ajouter que, dans la première partie de sa vie, lorsqu’il